Acteur insaisissable et inégal, à la filmographie dense éparpillée entre grosses machines, petites productions et projets prestigieux, Ewan McGregor n’a pas choisi la facilité pour son premier long métrage : une adaptation du roman de Philip Roth, Pastorale américaine, l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de l’écrivain, lauréate du Pulitzer en 1998. Paradoxalement, c’est précisément l’intérêt que le comédien porte à un objet littéraire si typiquement américain, jusque dans son titre, qui intrigue ici. Ewan McGregor, acteur écossais jusqu’au bout des ongles, icône d’un cinéma ultra hype dans les années 1990 grâce à son rôle dans Trainspotting (qu’il retrouvera pour une suite improbable en 2017), a eu beau naviguer dans les eaux d’une filmographie très internationale, jusqu’à incarner à trois reprises l’un des personnages les plus mythiques du cinéma US (Obi-Wan Kenobi, dans la seconde trilogie Star Wars), il n’en reste pas moins l’incarnation d’une certaine « coolitude » british. En transposant à l’écran la tragédie de Roth, réflexion aussi bouleversante que radicale sur l’échec du rêve américain, McGregor se frotte à une culture et une histoire qui lui sont à la fois familière et étrangère. Il choisit par ailleurs d’en endosser le rôle principal, celui d’un Juif du New Jersey dont la réussite éclatante finit par lui exploser au visage (au propre comme au figuré). On devine qu’ici le tout jeune réalisateur et l’acteur aguerri ont été doublement fascinés par l’œuvre monumentale et vertigineuse de Roth ; mais l’échec du film, curieusement, ne vient pas d’un trop plein mais, au contraire, d’une forme d’aplatissement de son sujet.
Petites et grandes tragédies
American Pastoral raconte le destin tragique de Seymour Levov, dit « Le Suédois », star incontestée de son lycée dans une petite bourgade paisible du New Jersey, champion sportif émérite et beau gosse dont la puissance physique spectaculaire s’accorde à merveille à ses traits, dignes d’une publicité pour l’American Way of Life. Seymour est le héros de sa communauté, ce qui, dans l’Amérique parfois durement antisémite des années 1950, lui permet de séduire tout ce qui bouge, à commencer par Dawn (Jennifer Connelly), ravissante Miss New Jersey à la tête bien faite. Le couple se marie, Seymour reprend l’entreprise familiale florissante et quelques années plus tard, donne naissance à Merry, dont la blondeur et la candeur sont à peine troublées par son bégaiement. La petite fille, devenue adolescente (et incarnée par une Dakota Fanning idéalement castée, mélange détonnant d’impassibilité et de fureur), va s’imprégner d’une conscience politique radicale qui va lui faire commettre l’innommable, entraînant ses parents dans sa chute.
Très appliqué, McGregor reproduit scrupuleusement l’ambiance pimpante et lumineuse de l’Amérique prospère de l’après-guerre, puis des années 1960, déroulant chronologiquement son récit en prenant ses distances avec la narration plus éclatée du roman et, paradoxalement, en collant fidèlement à celui-ci, jusque dans ses moindres détails… du moins, les plus superficiels. Étrangement, McGregor fait l’impasse sur une scène déterminante, un baiser chaste mais ambigu échangé entre le père et sa fille. Dans le livre, le souvenir de ce baiser spontané nourrira, bien des années plus tard, la culpabilité du père face aux agissements terroristes de sa fille ; dans le film, le baiser n’a pas lieu, le désir exprimé par la fille étant rejeté par le père. La liberté prise par un cinéaste sur la matière littéraire de laquelle il s’inspire a longtemps nourri des débats passionnés, la plupart stériles. Au hasard, Stephen King s’est longtemps insurgé du traitement infligé par Kubrick à son Shining, mais personne à part l’auteur n’irait s’en plaindre. Le problème ici est tout autre : les rares libertés que s’octroie le film sur le livre ne servent pas à nourrir une vision ou à coller à un parti-pris esthétique ou dramatique, mais semblent vouloir étrangement vider le propos de son potentiel subversif et dérangeant.
La politique de l’intime
Quel intérêt y a t‑il, alors, à s’emparer d’un sujet aussi fort, si c’est pour lutter contre, et s’appliquer méthodiquement à le contourner ? Assez vite, il apparaît qu’American Pastoral utilise le discours politique et social comme une toile de fond, et non comme son cœur. Ewan McGregor n’est pas spécialement intéressé par le commentaire de Roth sur les contradictions de l’Amérique et le leurre de l’American Dream. Son film s’attache essentiellement à brosser le portrait d’une relation toxique entre une gamine aveuglée par des convictions extrémistes et un père d’abord dépassé, puis obsédé par le besoin de comprendre, puis de sauver. Hélas, American Pastoral ne convainc guère plus en drame familial. D’abord à cause de son refus d’aller jusqu’au bout du caractère passionnel et incestueux de cette relation (le fameux baiser avorté), ensuite parce que tout semble étrangement propre, atone, comme si McGregor semblait effrayé par le potentiel de son film. Son interprétation est à l’avenant : non seulement le comédien n’est pas très convaincant en ex-gloire des stades, dont le physique impressionnant est censé contraster avec l’étonnante douceur, mais il n’investit pas grand-chose dans son personnage, évacuant les innombrables contradictions de son héros (le symbole, à lui seul, de la chute de l’empire américain triomphant, dynamité de l’intérieur par la génération suivante) au profit d’un mélodrame fragile et maladroit. Souhaitons à McGregor, pour son prochain film, de viser un peu moins haut, et surtout un peu plus juste.