Chronique d’un scandale n’aurait pas dépareillé dans les années 1980 et 1990 – décennies friandes de sujets type « Dossiers de l’écran » : autisme, viol, handicaps, maladies graves… Sur un scénario signé Patrick Marber (Closer), Richard Eyre raconte l’histoire de Barbara Covett (Dench), prof d’histoire psychorigide qui attend patiemment l’heure de la retraite dans un collège sensible de la banlieue de Londres où elle est la seule à encore se faire respecter. Sa vie solitaire se partage entre son chat et son journal intime dans lequel elle consigne toute son aigreur envers ses collègues, ses élèves et le reste du monde en général. Jusqu’au jour où arrive Sheba Hart (Blanchett), jeune enseignante en arts plastiques, belle et rapidement populaire… Une amitié presque inattendue se noue entre les deux femmes. Mais quand Barbara découvre que Sheba entretient une liaison avec l’un de ses élèves de 15 ans, elle va essayer de tourner la situation à son avantage.
L’intérêt d’un film comme celui-ci n’est pas à chercher dans la mise en scène, entièrement au service du scénario et des interprètes – ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. En revanche, Richard Eyre a l’excellente idée d’avoir ancré son film dans un contexte social solidement défini, celui de la working-class anglaise, celle des fish & chips, du foot et du thé bon marché, dont Sheba va faire les frais à ses dépens. Son principal défaut ? Avoir la beauté à la fois si naturelle et presque insolente de Cate Blanchett, qui prête son élégance altière à ce personnage de bourgeoise bohème trop friquée, trop libre pour un milieu qui prend sa présence à ses côtés comme un affront. Très subtilement, Chronique d’un scandale s’élève au-delà du simple thriller psychologique de bon goût pour se révéler être une étude de mœurs sur fond de lutte des classes qui ne dit jamais vraiment son nom.
Qui, finalement, dupe qui ? Tout le monde ou presque, même si les intentions ne sont pas les mêmes de chaque côté. Sheba – le plus beau personnage du film – se remet à enseigner par envie de reprendre une vie active après s’être occupée de ses deux enfants, l’un d’eux étant un jeune garçon trisomique. Mais n’est-ce pas aussi parce qu’elle s’ennuie dans sa superbe maison de ville, son aisance financière et son mariage heureux mais pépère avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle ? N’est-ce pas aussi la raison qui la pousse à s’encanailler avec un mineur qui la bouleverse avec son histoire personnelle, suffisamment misérabiliste pour permettre à la néo-bourgeoise de fondre comme neige au soleil ? Et jusqu’à quel point celui-ci dit-il la vérité pour séduire une femme a priori inaccessible pour un garçon de son âge et de son milieu ?
C’est, de loin, la partie la plus prenante du film, car Richard Eyre n’assène rien, presque planqué derrière le cœur du récit, à savoir l’amitié destructrice entre Sheba et Barbara – plus vendeuse mais plus conventionnelle. Barbara aussi est un pur produit de son environnement : d’une intelligence aiguë, elle souffre de ne jamais avoir pu s’élever au-delà de sa condition sociale. Son homosexualité inassouvie l’a contrainte à étouffer sa vie, ses désirs et ses rêves dans un océan de frustrations, jusqu’à la folie. L’on devine aisément que loin de cette banlieue corsetée, il en eût été autrement : Judi Dench, qui n’évite pas toujours le cabotinage, parvient néanmoins à faire exister cette part de personnage bien au-delà de ce que le scénario choisit d’en faire par la suite – une sorte d’Hannibal Lecter sans le cannibalisme, un monstre de foire trop psychopathe pour être honnête.
Dans le dernier tiers du film, c’est donc logiquement le spectacle qui l’emporte, au détriment de la finesse de l’étude psycho-sociale que Marber et Eyre avaient privilégiée au départ. La folie de Barbara devient dès lors très hollywoodienne, la dépression de Sheba itou – il faut voir la pauvre Cate Blanchett, contrainte de mimer ce qui semble être un pur moment régressif pour son personnage, pour comprendre que le film a quitté les rails pour aller s’écraser dans des images pré-conçues pour la bande annonce. Ce que vient confirmer le climax entre les deux personnages, tristement grotesque… Au moins, se dit-on, les producteurs ont un argument de vente sous la main : « Cate et Judi se foutent sur la gueule ! » Pour sûr, le spectacle est bien là : les deux comédiennes s’acquittent fort bien du suspense inhérent à un scénario machiavélique plein de chantages, de coups-bas et autres règlements de comptes. Mais si l’on ne s’ennuie pas une seconde, on peut regretter que ce Chronique d’un scandale ne soit pas resté plus humble : moins oscarisable, sans doute, mais beaucoup plus touchant.