La vie de Marc est ordonnée : CRS de son état, il vient d’emménager dans une maison hors de prix majoritairement payée par ses parents tandis que sa femme Bettina attend leur premier enfant. Lorsque Kay, homosexuel et rebelle, entre dans son unité, un désir incontrôlable et rapidement incontrôlé s’empare de Marc, déstabilisant son cocon artificiel et l’ordre normatif qu’il défendait.
La masculinité en question
Le monde de Marc n’est pas des plus poétiques : rangées d’uniformes et préparations physiques intenses forment un quotidien tournant autour de la démonstration de force, de virilité et de la capacité à se fondre dans la masse dépersonnalisée d’une unité de CRS. Stephan Lacant, dont Free Fall est le premier coup d’essai, a ainsi ouvert la Berlinale 2013 : une écriture et une réalisation soignées ‑à défaut d’être réellement inventives‑, des acteurs impeccables, un sujet de société devenu presque classique (l’entrée peu tolérée de l’homosexualité dans un univers d’ordre, ici le monde policier)… et pourtant, Free Fall fait partie de ces films qui insinuent un doute. Que veut-on nous raconter ? Que veut-on nous dire ? Il est des thèmes évidents que Lacant insinue sans trop de pesanteur telle que la bestialité du monde policier, ordonné face aux crises qu’il doit démêler mais ultra-compétitif en son sein. La scène d’ouverture constitue en cela une entrée en matière des plus directes, in medias res : en pleine course d’entraînement, Marc, essoufflé, est peu à peu exclu de la meute. C’est en remarquant son manque de souffle que Kay, nouveau venu dans la division, s’approche de lui et, à force d’endurance, lui fait découvrir son homosexualité. Si l’argument semble désormais presque banal, son développement et les représentations sociales et affectives qui en découlent ne le sont pas. Le doute qu’insinue le film ne provient pas de la mise en scène de la violence (masculine principalement) mais de son origine. Et c’est peut-être sur ce point que Free Fall oscille entre l’honnêteté brute et la théorisation maladroite et confuse.
La pesanteur et la grâce
Si Kay ne crie pas son homosexualité sous tous les toits, Marc refuse la sienne, tiraillé entre un confort normatif (le travail, la famille, la reproduction) et un désir passionnel mais difficilement intégrable à ce confort particulier. Si ce refus de l’attirance physique et la frustration qu’il engendre chez Marc donne une vivacité à l’image, une représentation épidermique et sensorielle du désir, les conséquences de sa satisfaction mènent toutes à la violence : physique avec sa femme qu’il tente de violer et qu’il abandonne progressivement alors que Bettina est enceinte ; et symbolique tant la découverte de l’abandon va de pair, dans Free Fall, avec celle de la honte et du dégoût de soi. Lacant a sans doute voulu filmer les différentes étapes du coming out ‑la répulsion, l’abandon, l’acceptation, le retour vers autrui‑, mais les motifs de l’expression cinématographique sèment le trouble. Pourquoi cette figure de démon tentateur blond et marginal ? Pourquoi cette quasi invisibilité du personnage féminin, doux, tendre et compréhensif (la mère en somme) dont la souffrance, elle-même causée par l’homme, mène elle aussi à la violence ? Ce premier film étonne par sa grande attention aux décors, aux troubles de passage et aux flottements du quotidien en creux de Marc, mais perturbe par des schémas répétitifs (frustration/sexe/violence). Il retrouve, heureusement, la simple pudeur qui permet à l’histoire de s’envoler de temps à autres vers une spontanéité qui tranche avec les constructions théoriques. Les personnages ne peuvent se résumer à des figures strictes et cadrées, et le film au placage d’un discours sur les êtres et les choses, et c’est dans ces interstices de liberté que Stephan Lacant introduit parfois sa volonté de faire œuvre.