La « belle promise », c’est Badia, jeune Palestinienne en fleur, qui quitte l’orphelinat où elle a vécu pour être accueillie, à contrecœur, par ses trois tantes de Ramallah qui voient d’un mauvais œil son arrivée (entre autres motifs, elles sont chrétiennes, or leur défunt frère a conçu Badia avec une musulmane). Sans hommes, recluses dans leur élégante villa censée les protéger des vicissitudes du monde (comme ce bruit de fond émis par les hélicoptères israéliens), vestiges du passé d’une communauté menacée (les chrétiens de Palestine), les sœurs Touma vont tâcher de soumettre leur nièce à leur mode de vie d’un autre âge (c’est-à-dire d’avant la guerre des Six Jours). Ce ne sera évidemment pas une mince affaire, non seulement parce que Badia a d’autres aspirations, mais aussi du fait de leur isolement au sein d’une communauté du présent qui les considère à peine… Face à cette situation sérieuse mais non fermée à la cocasserie, dans le traitement avec le mélange de légèreté et de gravité a priori adéquat par la réalisatrice Suha Arraf (connue pour avoir coécrit avec Eran Riklis La Fiancée syrienne et Les Citronniers), la première chose qu’on remarque est le recours aux accents du conte de fées. Voici la maison isolée d’un autre temps, la jeune personne en quête de maturité et lâchée dans l’inconnu, le groupe de figures maternelles de substitution entre bienveillance et intimidation (pas loin des « marraines » ou des « fées ») avec même une consonance quasi musicale dans leurs prénoms (Juliette, Violette et Antoinette), et au bout la promesse d’une apparente littéralité de l’histoire qui ne servirait qu’à véhiculer des enjeux plus profonds. La promesse est à la hauteur de la visibilité des atours narratifs — mais comme souvent, la déception suit. C’est qu’il y a un piège dans cette simplicité qui affiche l’intention de ne pas être simpliste, de receler quelque subtilité sous sa surface : le danger d’échouer à percer celle-ci — notamment quand le film est lui-même trop attaché à elle et aux artifices qui la constituent.
La morale est connue
Certes, la légèreté en contrepoint de la gravité des situations est bien au rendez-vous et fait parfois mouche : opposition des caractères, hiatus entre les aspirations et la réalité, il en sort forcément quelques bons moments. Mais on n’en constate pas moins que La Belle Promise s’en tient à l’illustration prolongée de la morale du conte, trop simple, trop courte et qu’on a vue venir trop tôt : le conflit, convenu, entre le souvenir obsessionnellement entretenu d’un passé révolu et la réalité du présent et des désirs intimes. La plupart des situations, si efficaces qu’elles puissent être dans l’humour ou dans le drame, finissent par laisser sur notre faim en s’avérant aussi proverbiales qu’elles le paraissent, sans qu’on puisse les lire autrement que sous l’angle de la morale qu’on connaît ; pour certaines, on peut anticiper le hiatus ou le coup d’éclat qui va se produire, et qui sera plus ou moins fortement appuyé (comme ces invités qui partent l’un après l’autre quand Badia joue maladroitement du piano). Et les personnages sont bien en peine de fournir au spectacle le relief qu’il réclame. La belle promise, malgré son origine emblématique (son métissage de deux communautés antagonistes), en reste à l’archétype de la jeunesse aspirant à la liberté et à l’amour. Quant aux tantes garde-chiourme, on voit vite de quel principe d’écriture elles émanent : derrière leurs attitudes fermement conservatrices, on découvre évidemment de criantes névroses, essentiellement liées à leurs tracas passés dans leurs relations avec les hommes. Et encore, Suha Arraf ne peut-elle s’empêcher d’arrondir les angles en rendant l’une des tantes, la plus jeune évidemment (jouée par Cherien Dabis, elle-même cinéaste), plus sympathique que les autres, et souffrant avant tout de la domination de ses sœurs aînées.
La promise sera en noir
Tout se passe comme si le mode narratif choisi par Suha Arraf pour livrer son histoire (avec la lisibilité du conte) était un impératif qui la pousserait à en lisser les aspérités, lesquelles pourtant auraient pu lui donner sa vraie saveur. Le phénomène n’épargne pas la tenue formelle du film, bien pesée et relevant d’un artisanat compétent mais laissant échapper quelques hoquets d’académisme. Ainsi remarque-t-on un certain systématisme du montage entre séquences suivant l’émotion que le film cherche à susciter : raccords cut pour l’effet comique, fondus au noir pour les ellipses dramatiques. Et cela se remarque avec d’autant plus d’évidence (et de déception) que, les accents dramatiques s’accumulant dans la dernière partie, les fondus au noir font de même… La pesanteur de l’effet est, à ce stade, à l’image du déficit d’attachement suscité par un spectacle trop formaté.