Pour son premier long-métrage de fiction, François-Xavier Vives romance le destin d’un être tiraillé entre le conservatisme de son milieu et l’envie de changer le monde qui l’entoure. À partir d’un support biographique, Landes construit un beau portrait de femme et rend hommage à l’histoire d’un territoire dont il exploite la photogénie avec subtilité. Pourtant, le film laisse un goût d’inachevé du fait de sa timidité à embrasser la fougue contenue de son héroïne.
Dans la solitude des forêts de pins
François-Xavier Vives est passionné par sa terre : les pinèdes, constructions humaines à la régularité et l’immensité magiques ; les dunes de sable, ballottées par le vent, propices à la perdition… En 1996, son premier documentaire, 1860 sur l’extrême horizon, évoquait les tourments du paysage landais d’après les représentations photographiques et les écrits de Félix Arnaudin. Son premier court-métrage de fiction Noli Me Tangere (2003) s’inspirait d’un poème de Gérard Manciet sur les Landes. De ce territoire informé par la main de l’homme comme une grande usine à ciel ouvert, le réalisateur choisit cette fois-ci de dévoiler le quotidien des années 1920, en plein élan industriel. Alors que de grandes familles se partagent la richesse de ces terres, saignant les pins pour collecter leur résine (gemme) et vendant leurs troncs, les gemmeurs vivent dans des conditions archaïques et travaillent sous un ordre presque féodal. Dans Landes, la puissance des propriétaires terriens, fermés à toute négociation et frileux sur l’évolution de leur entreprise, se heurte à la conscience sociale de leurs ouvriers, dont l’organisation progressive tisse la tension dramatique du film.
Lorsqu’elle se retrouve veuve, Liéna Duprat (Marie Gillain) embrasse le destin de son défunt mari, en reprenant ses affaires contre l’avis de Madame Hector, une belle-tante avide de garder la main sur le patrimoine familial. Il s’agit d’un acte de rébellion fondateur pour Liéna, dont les choix seront sans cesse discutés, contredits, désavoués, trahis. Et, si elle s’acharne à apporter l’électricité à l’ensemble de ses gemmeurs, elle rêve aussi d’électrifier les Landes bien au-delà du domaine Duprat. La candeur de la jeune entrepreneuse se heurte non seulement à l’incrédulité de ses pairs, masculins et féminins, ancrés dans leur vision passéiste de l’industrie, mais aussi à la rage des gemmeurs, stimulée par cette lubie futile au regard du manque de reconnaissance dont ils souffrent.
La cruauté des uns et la colère des autres renvoient sans cesse Liéna à l’immensité carcéral du territoire landais. Les pins viennent sans cesse l’enfermer dans leur verticalité si régulière, soulignée par le travail plastique d’Emmanuel Soyer sur le format Scope. L’importance donnée à la picturalité du décor naturel et à l’intégration du corps féminin dans cet espace renvoie à l’iconographie du heritage film anglo-saxon, de Jane Campion (La Leçon de piano) à Andrea Arnold (Les Hauts de Hurlevent). Loin d’une simple posture esthétique, le rapport fort entre la femme et la terre vient toujours y signifier la violence des émotions et la force d’un isolement pesant. Il substitue aux mots l’impétuosité de décors, dont la vivacité est mise en valeur pour dire l’intériorité de femmes incomprises. Ici, les différents visages de la pinède accompagnent et reflètent l’évolution psychologique de la jeune femme. La forêt est d’abord claire et lumineuse sous le regard de leur nouvelle propriétaire, vaporeuse sous la rosée et sublimée par la lumière rasante quand ses rêves sont vivaces, sombre et triste sous l’effet du feu en plein conflit social, floue et illisible lorsque la mort y surgit soudainement.
Féminité en devenir
Lointaine cousine de la Karen Blixen d’Out of Africa, Liéna embrasse le rêve de son mari, mais cesse d’être “la femme de” pour devenir une femme de pouvoir et, ce faisant, se condamne à la solitude. Les hommes qui l’approchent connaissent tous des destins tragiques, qu’ils soient ses alliés ou ses ennemis. Le parcours du personnage suit la courbe tragique d’une héroïne whartonienne. Linéa possède la fougue et la fierté de Lily Bart, dans son exigence et sa détermination à vivre sa féminité avec une modernité farouche, seule, sans jamais transiger avec les promesses qu’elle s’est faite à elle-même, sans tenir compte des conseils condescendants (et parfois malveillants) de la grande bourgeoisie.
Avec élégance, Landes interroge la complexité de l’identité féminine, entre la fidélité de Liéna à son mari, sa volonté farouche de concrétiser les rêves du défunt et son désir d’être mère. La beauté du personnage réside certainement dans sa naïveté altruiste : aussi bien envers les métayers qu’elle veut (littéralement) éclairer qu’envers cette nièce qu’elle entend élever pour transmettre valeurs et patrimoine. Marie Gillain trouve ici un de ses plus beaux rôles et l’embrasse avec une passion visible. Entière et entêtée, Liéna possède cette capacité à agacer qui fait les grandes héroïnes. Pas tout à fait aimable, elle demeure attachante du fait de fragilités timides. Sa capacité à prendre de la distance et à réviser son point de vue sur le monde lui permettent de prendre la mesure de son rôle dans une crise sociale où le choix du dialogue avec les métayers donnera toute sa dimension à l’héroïne romanesque. Malheureusement, le film élude en grande partie cette transformation, traitée dans une scène de dialogue avec sa sœur Madeleine (Miou-Miou) et un carton final sur les « réformes Duprat », amputant partiellement le film de la puissance de son héroïne.
Trop sage, Landes s’affirme comme une belle déclaration d’amour à une territoire sublimé par une réalisation sensible. Il se prive d’une vigueur juste latente, mais pourtant bien en germe, comme le dévoilent ces dernières images où Liéna fait corps avec une mer déchaînée avec la force du désespoir.