Au-delà de l’enjeu scénaristique qui sous-tend le second long-métrage de Frédéric Pelle, Le Chant du merle est avant tout une belle déclaration d’amour à l’un des plus beaux coins de France, la Corrèze. Riche de sa variété de paysages, de la douceur de son climat et de sa richesse gastronomique, le département semble offrir à Aurélie (Adélaïde Leroux), une jeune serveuse dans un petit hôtel-restaurant réputé, le cocon parfait pour qu’elle y coule des jours paisibles et heureux, loin des bruits et des tourments de la grande ville. Seulement, la dévotion dont la jeune femme fait preuve à l’égard des autres – que ce soit auprès de sa mère bienveillante (Myriam Boyer) ou d’un vieillard atteint d’Alzheimer auquel elle s’est attachée et qu’elle promène régulièrement – en fait une personne appréciée de tous mais excessivement discrète, comme absente d’elle-même. Ce feu qui existe pourtant sous l’apparente obéissance semble attendre son détonateur : c’est François (Nicolas Abraham), un quadragénaire séduisant et vendeur itinérant, qui endossera ce rôle. Dragueur, à l’aise en toutes circonstances, un brin roublard, l’homme s’intéresse à cette jeune serveuse qui s’était un peu oubliée, la séduit, lui promet monts et merveilles, au risque de la fracasser quand poindront certaines révélations et, avec elles, une incommensurable déception.
L’angle mort
Le pitch pourrait sembler convenu, tant le cinéma a maintes fois traité de la figure de la jeune femme trop fragile qu’on ravit à un quotidien protégé par un certain nombre de repères, et qui risque de sombrer une fois la supercherie dévoilée. Seulement, la dynamique du film de Frédéric Pelle ne repose pas sur une opposition entre les deux personnages en forçant l’empathie pour son héroïne et en réduisant l’image du séducteur à celle du salaud. Au contraire, avec une discrétion et une humilité qui fait toute la beauté du film (on n’est d’ailleurs pas étonné de voir l’artisan regretté René Féret crédité en tant que conseiller aux dialogues), Le Chant du merle capte avec une belle acuité les malentendus qui résultent d’une telle rencontre, rend compte des espoirs échafaudés en secret par la douce Aurélie, dans l’attente du retour de son amant après un coup qu’on devine foireux. Épousant le regard de la jeune femme, la mise en scène nous fait subir le hors-champ auquel est momentanément rivé François, rendant compte de cet état de manque qui résulte de l’absence de l’être aimé, sans qu’on ait la certitude que celui-ci est aimé pour les bonnes raisons. Peu importe, semble nous dire Frédéric Pelle : ce qui compte, c’est l’impact d’un amour déçu pour celle qui l’a surinvesti, comme s’il venait lui dire qu’il n’y avait de toutes façons aucune raison d’y croire depuis le début.
Les usurpateurs
Mais loin de se complaire dans un état d’échec malgré un dénouement tragique, Le Chant du merle tire sa beauté de cet état de douce mélancolie. Les jours passent et le quotidien semble glisser sur les personnages sans qu’ils parviennent véritablement à rentrer dans la vie. C’est évidemment le cas d’Aurélie : la lumière a beau être belle, la nature en pleine effervescence, quelque chose d’essentiel fait pourtant défaut en elle. La petite musique intérieure du personnage paraît désynchronisée, déjà trop éloignée de ce que le cadre et l’arrière-plan ont pourtant de beau à lui offrir. C’est ce décalage, cette rupture aussi violente que ténue entre l’intériorité d’Aurélie et son entourage qui fait du Chant du merle une œuvre nettement moins apaisée que ne le laisserait croire son vernis bucolique. Le film formule avant tout une promesse, celle d’un goût pour la beauté aérienne (symbolisé par le chant des oiseaux qu’un groupe de passionnés, auquel Aurélie participe, étudie à leurs heures perdues) et qui ramène les personnages à leur insurmontable pesanteur. Et pourtant, en dépit de cette langueur qui traverse le film, le second long-métrage de Frédéric Pelle embrasse son sujet avec une belle générosité, capable de se frotter aux éléments (l’air, la terre et l’eau) et de donner du corps à la quête abstraite d’Aurélie.