En France, alors que la Deuxième Guerre mondiale touche à sa fin, une jeune Française s’éprend d’un soldat allemand malgré la doxa. Avec l’Occupation comme toile de fond, Les Enfants de la nuit, le dernier court métrage de Caroline Deruas, fait d’une situation singulière un thème universel : les amours condamnées par l’opinion publique.
Henriette aime Josef mais leur amour est défendu. Elle est française, fille de résistants, c’est un soldat allemand. Dans la France occupée du printemps 1944, ce genre d’union ne peut conduire qu’à une issue tragique, comme l’annonce de façon programmatique la voix-over au début du film. Une fois le spectateur prévenu, le film ne sera-t-il alors que le récit attendu d’un amour impossible et condamné d’avance ?
Pas seulement et c’est bien là la réussite des Enfants de la nuit qui se focalise sur la relation charnelle entre les deux personnages principaux, interprétés par Adèle Haenel et Felix M. Ott. Une rencontre qui les élève, les emmène au firmament, au-delà des contingences de leur époque, comme le suggère le mouvement de caméra qui part des corps pour rejoindre le ciel alors que les deux amants s’aiment dans une maison en ruine au milieu de nulle part. Un nulle part qui figure bien le no man’s land de leur union comme si aucun territoire ne pouvait accueillir leur amour ; ils sont contraints de vivre loin des menaces que représentent les autres sous la forme de commérages, délation et lynchage…
Dans la forêt, lieu de leur rencontre, ils pourront laisser libre cours à leurs ébats, à leurs jeux et à leurs discussions sans faire l’impasse sur les contradictions : elle hait les allemands, il combat les Français. Mais l’attirance est plus forte et le film le construit formellement par des ralentis et des gros plans sur leurs visages juvéniles et sur leurs corps. Le temps s’arrête, tout ce qui compte est un regard, une attitude, un geste. Les plans, dans leur composition, esthétisent à outrance cette union, notamment grâce au noir et blanc qui confère un caractère pittoresque à l’image, comme s’il fallait un excès de beauté pour arracher les protagonistes à leur destin sordide.
Le film traduit ainsi le sentiment de grande liberté et de toute puissance propres aux débuts d’une histoire d’amour, comme le dit Henriette lorsque le couple croise Marcel, le meilleur ami qui finira par les dénoncer, « j’en ai rien à foutre ! » faisant fi de tout ce qui l’entoure, décidée à vivre pleinement cette passion. Une liberté figurée par les travellings suivant Henriette à bicyclette, par la musique qui semble emporter les amants, par les mouvements de caméra qui les accompagnent dans leur course, dans leurs acrobaties (Josef qui saute dans la rivière pour attirer l’attention d’Henriette ou qui fait le cochon pendu accroché à un arbre). Une liberté que les amoureux s’octroient au début d’une histoire, convaincus qu’ils peuvent s’extraire de l’espace public et du jugement des autres, des « bons ».