Un film autrichien décrivant la cohabitation d’un homme avec un enfant qu’il séquestre pour mieux en abuser : non, nous ne sommes pas chez Michael Haneke mais chez Markus Schleinzer, l’un de ses collaborateurs qui fait ici ses premiers pas de cinéaste. S’il conserve le regard clinique et les penchants manipulateurs de son maître, il en oublie en revanche certains ingrédients de base sans lesquels un film perd toute valeur.
Le ton est donné dès le prologue. Chaque plan vient y signifier, de la façon la plus neutre et la plus désengagée possible, une des actions qui composent la soirée d’un homme, de retour chez lui après une probable journée de travail. À l’heure du dîner, il déverrouille la porte du sous-sol pour en faire sortir celui qui le partagera avec lui : un enfant d’une dizaine d’années. Clairement mais sans ostentation, la fin de la séquence vient confirmer la raison d’être de cette séquestration.
L’écriture du film conserve sur toute sa durée ce même aspect fonctionnel, qui a l’avantage de limiter le pathos et l’impudeur auxquels le sujet aurait pu inviter. Ce qui est mis en avant, plutôt que l’intériorité des personnages, ce sont leurs gestes quotidiens. Face à une situation difficile à regarder en face, Markus Schleinzer trouve une voie a priori maline : il se contente de montrer comment, concrètement, une telle situation peut exister. L’aspect anti-dramatique du film est pourtant à double tranchant. Le quotidien de Michael – c’est là le prénom de l’adulte –, présenté dans toute sa banalité, reste assez proche de ce que l’on aurait pu en imaginer. À quelques occasions, Markus Schleinzer a le courage d’aller au-delà des représentations les plus convenues et attribue à ses personnages des actions que l’on n’attendait pas, mais ce ne sont là que de rares fulgurances. Le cinéaste renonce par ailleurs la plupart du temps à construire des attentes chez les spectateur, pour se contenter de faire se succéder des micro-événements. C’est une bonne chose puisque les quelques moments où le film verse dans le suspense sont les plus pénibles. En même temps, l’aspect détaché et absolument non-divertissant du film conduit rapidement à s’interroger sur sa raison d’être et sur son propos. Chercherait-il seulement à assouvir une curiosité morbide du spectateur ?
Ayant tant soit peu conscience des réactions ultra-violentes que la pédophilie provoque chez certaines personnes, on peut supposer que Markus Schleinzer essaye d’en prendre le contre-pied en banalisant à l’extrême son personnage et sa situation, pour montrer qu’il s’agit d’un être humain comme nous tous. Il ne semble pas se rendre compte que c’est là se mettre au niveau de ceux qu’il condamne : si le besoin se fait sentir de faire un film simplement pour montrer qu’un homme est un homme, c’est bien que l’on part du principe qu’il est une bête. Une justification possible de la démarche de Schleinzer est donc anéantie à partir du moment où l’on considère qu’un être humain le reste quels que soient ses actes.
Ainsi, l’apparente neutralité du dispositif est tout à fait hypocrite et perverse : aussi masqué qu’il se fasse, le point de vue du cinéaste est bien là. S’il ne fait pas du pédophile un monstre, il en dessine une sorte de portrait-robot finalement à peine plus humain : un physique peu avenant, une phobie sociale, des capacités physiques médiocres compensées par une aptitude à mener à bien des tâches administratives… Si le pédophile n’a pas « l’air méchant », il est aussi dénué de toute qualité qui puisse attirer une réelle empathie de la part du spectateur – cela serait beaucoup trop subversif. Un tel manque d’intérêt réel du cinéaste pour le personnage principal de son film condamne celui-ci à une parfaite superficialité.
À ne pas oser adopter le point de vue de l’un ou l’autre des membres du binôme pour rester dans une tonalité prétendument factuelle, Markus Schleinzer produit donc un objet problématique à différents égards. Reste une certaine habileté dans la façon dont il déploie son récit, quelques choix d’écriture judicieux, grâce auxquels une atmosphère cohérente est créée : l’accentuation des actes d’ouvrir et de fermer, dont le bon règlement est garant d’un certain équilibre entre les vies publique et privée de Michael, la présence insidieuse de la télévision… Ne renions donc pas la possibilité que Markus Schleinzer puisse un jour d’un sujet moins épineux tirer un résultat plus concluant.