Écrivain célèbre, coutumier des best-sellers, Bernard Werber a l’idée de réaliser un (faux) documentaire animalier sur nous, les hommes. Des extra-terrestres nous observent et commentent (avec la voix de l’excellent Pierre Arditi) notre quotidien qu’ils ont bien du mal à cerner. L’idée est séduisante car elle permet au spectateur de ré-interpréter le commentaire et de créer ainsi son propre rapport à l’image. Mais au-delà du dispositif, Werber se révèle être un metteur en scène extrêmement médiocre, en raison de sa vision très pauvre de l’humanité.
Bernard Werber s’est spécialisé dans les romans éthologiques, avec cette spécificité de regarder l’homme d’un point de vue « original » : du sol par des fourmis (Les Fourmis, 1991, Albin Michel), du ciel par les anges (L’Empire des Anges, 2000, Albin Michel). Pour son premier long-métrage, il ne déroge pas à la règle qu’il s’est fixée. Sous la forme d’un documentaire animalier, des extra-terrestres à l’intelligence soit-disant supérieure, observe cette créature primitive et mystérieuse qu’est l’homme. Le film est manifestement un film à « concept », susceptible de se limiter à l’idée qui le détermine. Une idée ne fait pas un sujet, et quand elle est le moteur du film, ce dernier risque souvent de n’en devenir que le prétexte. Mais c’est étrangement dans son aspect purement conceptuel que Nos amis les Terriens fonctionne le mieux. Sur des images assez neutres du quotidien parisien, une voix-off, parlant au nom des aliens, commente et analyse nos comportements les plus anodins sans vraiment les comprendre, interprétant de travers des cérémonials aussi banals que se brosser les dents, fumer une cigarette ou faire l’amour. Car ces êtres (pas si supérieurs donc) ont bâclé le travail, ne nous ont observé que superficiellement et n’ont pas approfondi leurs recherches. Que se passe-t-il alors ? Le spectateur, humain de son état (du moins à ce qu’il paraît), familier de tous les rituels exposés dans le film, remet dans leurs contextes ces images et prend le pas sur le commentaire off. Il se crée une distance entre ce qui est dit et ce que l’on voit. Sous le regard froid des extra-terrestres, fasciné par les actes les plus primaires de notre civilisation, nous nous redécouvrons.
Le dispositif mis en place par Werber permet au spectateur d’y projeter sa propre vision du monde, de rétablir sa propre vérité. C’est un dispositif autonome, qui se passe du regard de l’auteur. Mais ce dernier est indispensable quand il s’agit de fiction. Les extra-terrestres capturent des humains et les emprisonnent dans des cages électro-magnétiques dans lesquelles ils vont pouvoir observer, étudier et expérimenter leurs comportements. Toute cette partie-là (inspirée de sa pièce Nos amis les Humains, 2003, Albin Michel), Werber doit l’inventer, c’est-à-dire l’écrire et la mettre en scène. Il crée une sorte de « loft » fictif dans lequel va éclore le scénario type du huit clos : rapport de force, domination/soumission, accouplement et meurtre. Les dialogues et la direction d’acteur rappellent ces affreux feuilletons télé comme Plus belle la vie. La nullité abyssale de ces séries que l’on propose comme bouillie quotidienne au téléspectateur peu investi, et que l’on retrouve dans le film de Werber, ne relève pas tant d’un manque de savoir technique que d’une vision approximative du monde, caricaturale et schématique. À force de vouloir regarder l’homme de haut, Werber en conclut (trop) rapidement qu’il est une créature prévisible, aux réactions statistiques : tant de personnes dans un même lieu clos, au bout d’un certain temps, vont forcément agir de telle façon. Comme si tout n’était finalement que calcul et paramétrage qui conduisent à l’inexorable fatalité (ce qui rappelle un peu les films de Lelouch, par ailleurs producteur du film). Cette mentalité agaçante, qui réduit les interactions humaines à des équations, devient carrément exécrable quand Werber y insère ses analyses sociologiques. L’échantillon d’humanité qu’ont sélectionné les E.T. se compose d’une artiste peintre, d’un chanteur, d’un programmateur de jeux vidéo, d’un réalisateur de film documentaire etc… Soit des oisifs et des petits-bourgeois intellectuels. Le seul profil susceptible d’appartenir à une autre classe sociale est un délégué syndical. Ce dernier s’avère brutal, agressif, autoritaire… Bref, il est l’élément perturbateur du troupeau. Très vite, il va s’imposer comme le chef de la bande. Le seul malheureux qui lui résistera (le chanteur), sera impitoyablement assassiné sous le regard hagard de ses congénères. C’est statistique : pour trouver le loup dans la bergerie, cherchez le prolo !