160 minutes pour Le Patient anglais, 139 minutes pour Le Talentueux Mr Ripley, 154 minutes pour Retour à Cold Mountain, Anthony Minghella est le champion de la cause du film long, très long, voire beaucoup trop long. Avec son nouveau film, le cinéaste britannique s’est assagi en se posant la limite des deux heures, mais ces 120 minutes paraissent si insupportablement interminables que la question de la durée ne se pose même plus. Politiquement correct, culturellement niais, cinématographiquement nul, Par effraction n’a strictement aucune minute d’intérêt.
Il faut imaginer la voix-off à la fois grave et déterminée de la bande-annonce, les pauses dans la diction pour exprimer la profondeur de la réflexion. « Pour Will, c’est le début d’une plongée au cœur d’un autre univers que le sien, et au plus profond de lui-même. » La phrase a un faux air de philosophie de café du commerce ; le problème, c’est qu’elle résume à elle seule l’esprit général du film. Basé sur des fausses vérités assénées comme de grandes réflexions sur la vie, la délinquance, les problèmes de couple et la difficulté de s’intégrer (tout un programme !), le scénario accumule les bavardages inutiles, provoquant au choix, maux de tête, désir de silence profond ou velléités meurtrières.
Breaking and entering, dit le titre original du film : « casser et entrer », donc. Pour Miro, le petit délinquant bosniaque, heureusement mignon comme un cœur et doué en free running (variante humaine et sportive de l’activité du chimpanzé), cela signifie en gros briser les vitres d’une entreprise, s’y introduire, tout piquer et recevoir en échange un bel ordi. Et à qui appartient l’ordinateur ? À Will Francis, patron de l’établissement, dont les problèmes sont autrement plus complexes : comme il le résume lui-même dans une réplique navrante de niaiserie, il s’agit pour lui de « casser » les barrières (le « miroir » dixit lui-même) que lui oppose sa femme, la jolie mais froide (ben oui, elle est suédoise) Liv, et, tant qu’il y est, « entrer » dans la vie d’une jolie et chaude Bosniaque, Amira, la mère de Miro. Pour couronner le tout, Will est architecte, et Miro construit en secret des… maquettes. À l’idée de raconter la suite, on meurt déjà d’ennui.
Les personnages de Minghella sont profondément déprimants. Will trompe Liv, mais ne sait pas trop pourquoi, parce qu’il l’aime quand même. Liv aime Will, mais ne lui montre pas, tant elle est préoccupée par sa fille Bea (qu’elle aime beaucoup), enfant hyperactive qui mériterait une bonne claque à chacune de ses apparitions. Amira a connu des jours tristes lors du siège de Sarajevo (d’ailleurs, elle n’aime pas en parler au supermarché, dixit elle-même), son mari est mort et elle ne sait pas comment aider son voyou de fils (qu’elle aime beaucoup aussi). Miro aime sa maman, mais il est contrôlé par son oncle, un vilain mafieux qui parle comme un pitbull, a une demie expression de visage et n’aime personne, sauf lui-même. Will aime Amira le temps d’une liaison de quelques jours, et puis tout rentre dans l’ordre quand les Bosniaques rentrent à Sarajevo. N’en tirons pas de conclusions hâtives, mais le discours dégoulinant de moralisme de Minghella, au simplisme parfaitement assumé, fait profondément pitié.
Le moral n’est pas très bon non plus du côté du casting : Jude Law a son éternel air absent, mi-chien battu, mi-je-réfléchis-sur-mon rôle. La première apparition de Juliette Binoche est proprement terrifiante : seul le grand respect imposé par son talent empêche d’éclater de rire à chaque fois qu’elle ouvre la bouche, roulant les « r » pour mieux montrrrer qu’elle a trrrop bien apprrris à parrrler Brritish comme une vrrraie Bosniaque. Mention spéciale également à Poppy Rogers, interprète de Bea, plus assommante encore que son propre rôle. Robin Wright Penn essaie de sauver les meubles, mais elle doit se sentir bien seule.
Visionner Par effraction agit un peu comme fixer longuement un point sur un mur. Au bout de quelques minutes, tout devient flou : l’interprétation, le charisme des personnages, la ligne directrice du scénario, et même la raison d’être du film. Minghella en est conscient : la preuve, il floute lui-même une scène toutes les vingt minutes, et on ne sait plus alors si c’est un « effet artistique » ou un aveu caché du désintérêt général de l’œuvre. Quand un œil fixe un point, il s’en lasse et s’en détourne pour éviter la douleur du flou, et par extension, celle du vide. Par effraction impose cette douleur pendant 120 minutes. Et puisqu’on peut se l’éviter…