Si l’homme descend du singe, on peut sans mal imaginer que cette « descente » ne s’est pas faite en un jour. Le long processus d’humanisation et de civilisation qui a conduit à cette évolution sert de trame narrative à la première réalisation de Jamel Debbouze. Sorte de préquelle à Pourquoi j’ai mangé mon père, œuvre loufoque de Roy Lewis parue en 1960, le film, malgré la formidable faute de syntaxe de son titre (la double négation, ennemie indécrottable de l’oralité), évite le zéro pointé en assumant pleinement son caractère vulgarisateur, entre humour et didactisme.
Progressiste vs réactionnaire
Premier-né du roi des simiens, Édouard n’a pas le physique avantageux de son jumeau Vania. Il est donc évincé du trône et de sa tribu dès sa naissance au profit de son frère. Devant sa survie à Ian, un simple d’esprit vivant dans sur une branche reculée du reste de la communauté, il grandit dans l’ignorance de sa condition, compensant ses faiblesses physiques par une intelligence pratique. Ostracisé par Vania, devenu le nouveau chef, Édouard est contraint de quitter le confort douillet de son arbre et d’aller traîner ses basques dans l’aride savane alentour. Mettant à profit ses compétences, sa curiosité et sa malice, il va faire plus que survivre dans cet environnement hostile, devenant le premier bipède de son espèce, maîtrisant le feu et ouvrant grand, sans le savoir, les portes de la civilisation à sa tribu.
Je vous parle d’un temps…
Vendu comme le premier film intégralement tourné en motion capture en Europe, Pourquoi j’ai pas mangé mon père déroule un univers visuel assez proche de L’Âge de glace. Les créatures fantastiques (dents de sabre, girafes cornues…) côtoient les simiens, sorte de primates humanoïdes. Si Mélissa Theuriau ou Arié Elmaleh apparaissent au casting, leur identification physique s’avère difficile, tant le singe a pris le pas sur l’humain. Toutefois, deux personnages tirent leur épingle du jeu : Jamel Debbouze qui bénéficie d’un faciès reconnaissable et la « présence » de Louis de Funès (!), clin d’œil que les jeunes spectateurs ne saisiront pas mais qui attire la sympathie des plus âgés, nostalgiques d’une certaine verve comique tout en mimiques et onomatopées.
Bien que le film s’autorise des libertés avec la chronologie du texte initial, il en conserve les jouissifs anachronismes et l’esprit didactique. Sans être un précis de la théorie de l’évolution (les contre-vérités et les approximations sont légion), le long métrage de Debbouze brasse les éléments fondateurs de la civilisation humaine avec un certain charme. Malgré une première partie dans l’arbre des simiens sans grands enjeux, le voyage initiatique d’Édouard se révèle quant à lui astucieux.
Vulgate comique
En proposant des situations saugrenues pour expliciter les diverses découvertes qui ont propulsé le primate vers l’homo erectus puis sapiens (quadrupède/bipède, cru/cuit, individualisme/collectivisme), Pourquoi j’ai pas mangé mon père s’essaie au difficile exercice consistant à divertir son jeune public tout en l’éduquant. Bien que le scénario soit expurgé de toute visée politique (à la différence de Lewis), il parvient à conserver le parti-pris du roman qui égrenait des réflexions comparatives entre la naissance de l’humanité et le monde contemporain.
Malheureusement le cahier des charges scénaristiques, aussi louable soit-il, ne se matérialise pas à l’écran de façon très inventive. Empêtré dans une réalisation ronronnante, Pourquoi j’ai pas mangé mon père n’expérimente jamais la formidable sève de son univers, hormis à de (trop) rares occasions comme ces ombres portées sur les murs d’une caverne, « singeant » la naissance du cinéma. Évidemment, l’homme-orchestre Debbouze est de tous les plans, important dans ce monde pré-humain sa gouaille et ses expressions parfois indigestes. Pour les fans de son humour, ce premier essai destiné a priori aux plus jeunes, ressemblera à une initiation à la théorie évolutionniste, sans prétention mais pas dénué d’intérêt. Pour les autres, le cirque comique parfois intempestif de Debbouze pourrait bien être rédhibitoire.