Quatre minutes est le deuxième long-métrage de l’Allemand Chris Kraus, après Famille brisée en 2002. Jeunesse, violence et exubérance d’un côté, austérité, vieillesse et traumatisme originel de l’autre, le film se construit sur ce contraste entre les deux personnages principaux que sont la vieille prof de piano et la prisonnière virtuose. La création artistique et le milieu carcéral constituent la seconde antinomie que le réalisateur prétend interroger. Le cinéaste ne recherche pas l’épure, au contraire, la stylisation est sa marque de fabrique d’à peu près de tous les instants. Ce qui finit par lasser, voire irriter.
Quatre minutes est fondé sur une opposition bien marquée entre les deux principales protagonistes. La vieille Traude (Monica Bleibtreu) est une bigote pour qui la musique s’est arrêtée au XIXe siècle. Elle mène une vie austère et solitaire, considère les fantaisies musicales de Jenny (Hannah Herzsprung), jeune écorchée (très) vive et autodestructrice, comme étant de la « musique de nègres ». Il aurait été difficile de composer un binôme plus antinomique. On apprendra toutefois par l’intermédiaire de flash-backs, pour épaissir le personnage, que Traude s’est abandonnée à l’amour lesbien durant la IIe guerre mondiale. Cette passion a été emportée par le vent de l’histoire, la vieille prof est sentimentalement morte depuis. C’est une femme froide, dure et intransigeante qui se met en tête de discipliner l’incontrôlable génie du piano, notamment en voulant la préparer au concours d’entrée au Conservatoire. Le film est ainsi l’histoire de cet apprivoisement mutuel, qui ne restera néanmoins que relatif. Cette complicité naissante n’est pas traitée sans humour, notamment lors d’un amusant échange vestimentaire pour une audition. Bon, pas de quoi pavoiser, car pour le reste, la relation est traitée sans surprise et sans relief.
La situation est également antinomique puisqu’elle met en présence la grâce de l’univers artistique et l’âpreté du domaine carcéral. Le moins que l’on puisse dire c’est que le réalisateur n’y va pas avec le dos de la cuillère et sans finesse. L’intrusion du piano en tant que corps étranger dans la prison donne lieu à un long cheminement, le camion nous fait même le coup de la panne. Il y a ensuite les mains écorchées de Jenny qui s’opposent aux touches lisses du piano (bon après tout va bien, elle se fait une raison et se fournit en crèmes hydratantes efficaces) et ces mêmes mains sont entravées de menottes lorsqu’elle s’y adonne pour la première fois devant nos yeux éblouis. Qu’à cela ne tienne, elle jouera de dos, sans regarder, avant de mettre une tête au carré au gardien et de faire gicler du sang sur le clavier : waow ! On apprend d’ailleurs qu’Hannah Herzsprung a pris des cours de piano pendant 6 mois mais aussi un entraînement intensif de kickboxing… Cette manière d’opposer art et violence, grâce et souffrance, d’en faire des choses diamétralement éloignées laisse pour le moins dubitatif. Au moins pour certains artistes, en tout cas non des moindres, il semble que le processus créatif n’est pas dénué de ces aspects renvoyant à une certaine douleur. Et quel que soit son point de vue sur la question, Quatre minutes, qui se veut pourtant un hommage à la création, en donne une vision naïve et irritante.
Et de la douleur, au moins quelques maux de tête, c’est plutôt le spectateur qui en ressent devant une réalisation en recherche d’une complexité et d’une sophistication dont on ne comprendra jamais bien ce qui les justifie. On ne sait pas trop par où commencer sur ce point. Peut-être par le travail sur l’image de Judith Kaufman, directrice de la photographie, qui consiste en une artificielle et vaine surenchère de granulosité et de contrastes pour donner au film sa touche artistique, afin que le spectateur n’oublie surtout pas qu’il est en présence de l’œuvre d’un auteur. Passons sur la multitude de travellings alambiqués, mais il est impossible de faire de même à propos de la scène finale, que Chris Kraus impose comme le point d’orgue émotionnel et technique du film. Ce qui signifie une déferlante de plans et un montage ultra-rapide d’une parfaite grandiloquence. On apprend dans le dossier de presse que « ce concert final a nécessité plus de 50 plans » et que même « pour une pub Coca Cola, on ne tourne pas autant ». Comme le disait une autre réclame, pour un café lyophilisé dans les années 1980 : « ce n’est pas la peine d’en rajouter ».