Six ans après le surprenant Norway of Life, Jens Lien continue de saper l’art de vivre norvégien. Sans convaincre cette fois.
Sélectionné à la Semaine de la Critique et récompensé par l’Acid en 2006, Norway of Life dépeignait une cité dystopique où un étranger digne de Camus se surprenait à assister à une série de suicides qui laissaient ses voisins indifférents. La sociabilité décalée de ces habitants trop nets pour être honnêtes et le malaise sous un vernis de bienséance n’étaient pas sans évoquer l’univers d’un Roy Andersson (Chansons du deuxième étage) ou d’un Lars von Trier. On était en droit d’espérer d’Une éducation norvégienne qu’il prolonge cette œuvre pessimiste. Au lieu de quoi, le cinéaste livre une romance familiale aux accents de mélo, à travers les yeux d’un enfant perdu entre les idéaux en berne de ses parents et l’ennui profond que lui inspire l’avenir.
Adapté du roman autobiographique de Nikolaj Frobenius, Sons of Norway délaisse la parabole au profit du réalisme des années 1970. Nikolaj, quatorze ans, habite avec ses parents hippies une banlieue aseptisée où ils résistent vaillamment à la monochronie ambiante. Mais la mort accidentelle de Lone, la mère de Nikolaj, précipite cette famille dans le chaos. Magnus, mari endeuillé, n’est plus qu’un fantôme pour ses enfants et sombre dans une dépression apathique. Nikolaj va trouver une planche de salut venue de la perfide Albion, Never Mind the Bollocks, album-torpille des Sex Pistols qui scelle son destin adolescent : No Future.
Ainsi placée sous le signe nihiliste du punk, cette Éducation norvégienne aurait pu être une comédie grinçante ou bien une charge politique contre la tempérance nordique, elle opte plutôt pour le mélodrame (mort de la mère renversée par un chauffard) et le film à clichés. La structure du film en flash-back repose toute entière sur cette disparition traumatique et détermine les régimes d’image : étalonnage chatoyant du dernier repas de Noël partagé ensemble – orgie iconoclaste de bananes pour moquer la tonalité religieuse de cette fête traditionnelle, versus noir et blanc blafard des jours de deuils et des cernes sous les yeux caves des petits punks. La césure n’est pas seulement chromatique : les synthétiseurs de la cold wave et l’arythmie chaotique du punk enterrent les Beatles. Le van customisé aux couleurs de la Norvège est dépecé, les joues rebondies du petit Nikolaj se percent d’épingles à nourrices et les cris inarticulés de son groupe remplacent l’Internationale dans son répertoire musical.
À force de nostalgie, on entre donc dans le vif du film qu’au terme d’un long flash-back sur les jours heureux d’une enfance sans accroc. La fin de cet âge d’innocence coïncide pour Nikolaj avec la perte de tous ses repères, et d’abord l’effondrement de son père, Magnus, incapable de faire le deuil de Lone. Après une période d’apathie, Magnus plonge dans une régression jouissive et entraîne son fils dans des vacances mal inspirées au beau milieu d’un camp naturiste où celui-ci décide de garder sa dignité sous un slip aux couleurs du drapeau britannique. Là encore, Jens Lien ne lésine pas sur le comique à grosse ficelle. Le camp de nudistes a des airs de camping des flots bleus où le tai-chi new age aurait remplacé la sacro-sainte pétanque. Si le sujet du film s’avère alors être la relation de l’adolescent et de son père, c’est sans grande délicatesse que le cinéaste évoque cet équilibre instable qui lie les deux dans une communauté de sentiments mêlés. Sur le même mal être adolescent face à des parents marginaux, la jeune réalisatrice allemande Pia Marais commettait en 2007 Die Unerzogenen (Trop libre), un film autrement plus nuancé.
Dommage que le mouvement et la musique punk se révèlent n’être rien d’autre qu’un repoussoir pour les valeurs des parents hippies. Jens Lien joue de l’iconographie punk sans discontinuer depuis le générique de début jusqu’aux incessants inserts sur les détails d’accoutrement de tel personnage. À croire que l’histoire du punk se résume pour lui au folklore des Mohawks et de quelques joues percées d’épingles à nourrice. On se demande quelle raison a pu pousser Johnny Rotten, leader emblématique des Sex Pistols, à venir jouer les caméos dans une séquence qui n’est pas loin de rappeler, par sa maladresse, celle de Neds, sorti l’an dernier, où Peter Mullan convoquait sans ciller un jeune délinquant en mal de valeurs morales, Jésus Christ et une bonne bouffée de vapeurs de colle. À force de rejouer l’intégralité de l’album inaugural des Sex Pistols en guise de bande-son, Jens Lien en oublie un peu que le punk était aussi, et peut-être avant tout, un mouvement politique et un mode de vie.
Moins une peinture critique des utopies politiques des années 1970 qu’un collage d’états d’âme adolescents, Une éducation norvégienne revendique maladroitement l’emphase d’Orange mécanique, dont les sonorités synthétiques sont évoquées sans finesse, mais laisse de côté la charge critique du film de Kubrick. Dans la Norvège de 1979, tout finit par rentrer dans l’ordre, le cousin Anton, initiateur du jeune Nikolaj à la vogue punk, est retrouvé mort. Magnus redevient le père aimant qu’il était autrefois et retrouve sa place au sein de la famille à nouveau réunie. Le mouvement punk apparaît au mieux comme une parenthèse adolescente aussi éruptive qu’une crise d’acné, au pire comme un mal social qui conduit à la déchéance aussi sûrement qu’elle a conduit Anton à se noyer dans son vomi.