Lui-même ancien skinhead, le réalisateur Shane Meadows signe avec This Is England un film en grande partie autobiographique. Résultat : son portrait de la culture skinhead refuse les artifices narratifs ronflants d’un American History X pour livrer le récit passablement dérangeant d’une jeunesse en perdition, et prête à n’importe quelle extrémité pour évacuer son désespoir.
Shaun a 12 ans, en 1983, dans une des villes côtières de l’Angleterre sinistrée par la politique libérale de Margaret Thatcher. Sa mère et lui se débrouillent tant bien que mal pour joindre les deux bouts, depuis que son père est mort dans la guerre des Malouines. Plutôt solitaire, Shaun se découvre un groupe d’amis plus âgé dans la bande de joyeux punks et skins nihilistes de Woody. Mais bientôt, le groupe est rejoint par le plus sinistre Combo, avec lequel arrivent les sombres théories racistes du National Front. Mis dans l’obligation de choisir son camp, Shaun opte pour le charismatique Combo et ses idées extrêmes.
« Réalisateur des Midlands », Shane Meadows réalise avec This Is England une œuvre qu’il veut profondément cathartique, un récit circonstancié de ce qui, à quelques nuances près, a été sa propre expérience. Fils de la génération sacrifiée aux ambitions encore impérialistes de l’Angleterre sous Thatcher, il tourne donc son autobiographie dans un style documentaire, privilégiant le 16mm et les décors dépouillés de l’Angleterre ouvrière chéris par Ken Loach. Comme Loach aime à le faire, il a choisi de mener son casting parmi des non professionnels, notamment concernant son premier rôle, le jeune Thomas Turgoose. Turgoose lui-même est un gamin « difficile », si proche de son personnage que cela en est troublant, et compose un Shaun criant de vérité.
Shaun, Woody et Lol, les punks nihilistes mais inoffensifs, Milky le skin jamaïcain, Smell la gothique, jusqu’à Combo le skinhead raciste, tous ne sont que des réminiscences d’une jeunesse perdue dans la crise économique de l’Angleterre du début des années 80, avec les premières retombées de la politique thatchérienne. Et c’est là tout le courage, et toute l’ambiguïté de This Is England. Le courage, c’est celui de rappeler que les skinheads ne sont, à l’époque, qu’un mouvement issu des punks, des hippies, et des rastafaris, et qu’en tant que tels, à quelques exceptions près, ils se contentent de jeter à la face du monde leur looks outranciers et de démolir une maison abandonnée, grimés en clowns et armés de sabres en plastique. L’ambiguïté, c’est qu’à l’énoncé de son sujet, on attendra de This Is England qu’il soit un English History X, politiquement correct, moralement droit et donc dénonciateur sans nuance du mouvement qu’il dépeint. Mais non, même le raciste ultraviolent Combo n’est pas stigmatisé dans This Is England. Même lui n’est finalement qu’une victime déboussolée de la machine libérale à broyer du pauvre.
C’est le message final, si difficile à faire passer, de This Is England : à privilégier une économie de marché telle que celle de Mme Thatcher, l’Angleterre a fait le lit des extrémismes. Ceux qui y ont succombé ont-ils tort ou raison ? Le film ne se prononcera pas, pas plus qu’il n’assurera un avenir riant à ceux des protagonistes qui survivront — physiquement ou moralement — à l’irruption du racisme du National Front dans leurs existences. En cela, This Is England est une réussite politique, car s’il se focalise le plus objectivement possible sur les raisons socio-économiques qui ont présidé à la naissance du mouvement skin tel qu’on le voit aujourd’hui, il ne manque cependant pas de dénoncer la dégénérescence du mouvement vers la brutalité raciste. D’un point de vue formel, la minutie avec laquelle le réalisateur a mis en scène l’Angleterre du début des 80’s place définitivement son film entre le documentaire (le lancement du film est d’ailleurs un exemple en matière d’utilisation pertinente des archives) et le film purement fictionnel. Désireux, comme dans ses films précédents, de chroniquer à l’écran son Angleterre à lui, il filme comme on tourne les pages d’un album souvenir : en revenant sur ses propres souvenirs. Cela donne au film une hétérogénéité narrative parfois déroutante, en donnant la vedette à des personnages au parfum de réel, que le recul nous offre aujourd’hui de voir en exemples.
Et c’est probablement le défaut de This Is England : une tendance marquée à vouloir poser ses personnages en exemple, d’où, parfois, un effet de répétition, de déréalisation. Mais finalement, semble nous dire This Is England, l’ultime outrage n’est pas de rire de ces personnages qui sont sciemment outranciers — c’est celui de les avoir oubliés au fil du temps. Et le film de se proposer de redonner vie à une génération bâtarde, oublié des dieux comme des hommes : pourquoi pas, finalement ?