Le football, on le sait, est une institution au Brésil, plus encore qu’en France. C’est dire si l’image est importante, lorsque Mauro se compare au gardien de but : « celui qui reste en arrière, qui ne doit pas bouger, qui n’a pas le droit à l’erreur ». Récit d’un absence en filigrane, L’année où mes parents sont partis en vacances reprend l’argument de Papa est en voyage d’affaires, mais maintient, en lieu et place de l’exubérance de Kusturica, un ton nostalgique maîtrisé et touchant.
Brésil, 1970. Sous le régime de terreur d’une Opération Condor qui ne dit pas encore officiellement son nom, la rue est prise d’une peur omniprésente des arrestations. La mère et le père de Mauro, jeune garçon de Belo Horizonte, décident qu’il est plus sauf pour eux de « partir en vacances », en laissant leur fils aux bons soins de son grand père, dans le quartier juif de São Paulo. Alors que ses parents sont déjà loin, celui-ci se rend compte que son aïeul est décédé. Sholomo, le voisin de palier, décide de le prendre sous son aile, et avec lui toute la communauté du quartier. Vibrant, comme tout le monde, avec l’équipe nationale lors de la coupe du monde de football, le jeune garçon doit malgré tout faire face à son sentiment d’abandon.
De l’aveu du réalisateur, L’Année où mes parents sont partis en vacances tient plus de la mémoire collective de l’équipe du film que de la seule autobiographie. Le style visuel semble accréditer cette multiplicité de point de vue : la caméra s’insinue dans tous les recoins du quartier dans lequel évolue Mauro. Une fenêtre, un regard pratiqué entre deux planches dans un mur, la rue elle-même avec différents points de vue, des plans larges autant que rapprochés… Cao Hamburger semble vouloir donner tout son sens à la conscience collective du quartier de São Paulo dans lequel il situe son récit, une conscience douée de milliers d’yeux. Car tout est affaire de collectivité. La communauté juive, le groupe des jeunes adolescents, le culte universel autour du football : tout se structure en groupe, comme si c’était la solution face à la menace sourde des enlèvements politiques qui terrifiaient l’Amérique Latine. Et face au groupe, Mauro, seul, perpétue sa métaphore énoncée au début du film : il est le « gardien de but », celui qui reste seul, en arrière, à qui il est interdit la moindre erreur.
Cette erreur, ce serait celle de se laisser aller à vivre sa vie, alors que Mauro a à cœur de ne pas manquer le retour promis par ses parents. Ainsi, dès lors que le jeune garçon acquiert une certaine indépendance, investissant la vie de feu son grand père, c’est avec une gravité inaccoutumée. Loin de se laisser aller à jouir avec immaturité de sa liberté, il va garder son devoir de gardien à l’esprit, mais sans jamais nommer ce qu’il attend. Car de la même façon que ses parents sont absents, est également absente du récit la moindre allusion à la terreur de voir la police politique avoir rattrapé sa famille. Jamais dans le film n’est jamais ostensiblement déclarée la peur qui étreint les protagonistes, mais sa présence est comme un portrait en creux, une oppression tangible mais que l’on tait comme c’était la seule façon réelle de lutter contre un tel sentiment de paranoïa.
Adoptant pour son film un style visuel relativement daté, et qui n’est pas sans évoquer son travail sur la série La Cité des hommes, Cao Hamburger réalise avec L’Année où mes parents sont partis en vacances le portrait, d’une justesse inaccoutumée, de la vie d’un quartier sous la menace d’une oppression intangible, et qui ne donne donc jamais l’opportunité d’y répondre par la révolte. En résulte un film très humain, porté par l’interprétation de ses protagonistes, au premier rang desquels le jeune Michel Joelsas, dans le rôle de Mauro. Autant tranche de vie du Brésil des années 1970 que récit universaliste de la vie du petit peuple sous la botte de la tyrannie, L’Année où mes parents sont partis en vacances possède la grandeur d’un film politique sans jamais se départir de sa profonde humanité.