Huit ans après l’énorme succès de La vie est belle, qui l’a fait connaître dans le monde entier, Roberto Benigni revient, tentant à l’évidence de renouer avec son public, dérouté par sa désastreuse adaptation de Pinocchio en 2002. Voici donc « la vie est belle en Irak », fable poétique, inégalement drôle, inégalement émouvante, où le clown Benigni peine à renouveler son langage cinématographique, empêtré dans une philosophie de café du commerce.
« Peut-on rire de tout ? » Nul besoin d’adapter le fameux adage à Benigni. Avec l’attachant Roberto, on veut bien rire de n’importe quoi. Et même de la guerre en Irak, surtout s’il s’agit – bien indirectement il est vrai – de dénoncer la participation du gouvernement de l’infâme Berlusconi. D’autant que Benigni a bien compris la leçon des polémiques entourant La vie est belle : dans sa nouvelle production, les seuls traits d’humour entourent les péripéties individuelles d’Attilio, poète italien catapulté à Bagdad pour sauver sa dulcinée Vittoria, tombée dans un profond coma.
Benigni, précautionneux, n’évoque ni le camp (de concentration?) d’Abu Ghraib, ni les milliers de morts irakiens, ni le « on tire, puis on discute » des G.I. américains. Y aurait-il lieu de craindre l’ire étasunienne ? Les seuls soldats que croise Benigni sont de jeunes gens apeurés et stressés, mais finalement plutôt sympathiques (sans autre forme de procès); en ce qui concerne les morts irakiennes, il y a bien le poète Fouad (Jean Reno, qui pourrait se passer de jouer les contre-emplois), mais… il se suicide.
Ce manque de courage flagrant plombe le film entier. Pourquoi avoir choisi de situer le décor du Tigre et la neige en Irak, plutôt que dans n’importe quel autre conflit, puisque l’histoire se veut universelle ? Par souci de toucher un plus grand public ? Pour renouveler l’exploit de 1997 et faire sensation ? Quel que soit l’objectif, il contredit totalement le message sous-jacent. Non, la guerre en Irak n’est pas n’importe quelle guerre, au regard surtout de son exceptionnelle exposition médiatique, dont il est impossible d’éviter les enjeux.
Tel un Chaplin moderne, Benigni aimerait marier émotion et humour au service d’un message d’amour, cet amour fou qui résoudrait tous les problèmes et serait plus fort que toutes les guerres. Qu’en est-il de tout cela ? On ne peut nier que Benigni peut être désespérément drôle, notamment dans cette scène de dispute (conjugale) avec un chameau, qui s’entête à se diriger vers Bagdad, à l’encontre des indications d’Attilio. Qu’il peut aussi être réellement émouvant et avoir des phrases très justes sur la fonction vitale de la poésie dans ce monde de fous. Benigni est un homme d’une droiture et d’une sincérité admirables, pour qui chaque ligne de dialogue est un acte de foi. Mais cette façon un peu suppliante de chercher l’assentiment du spectateur, son rire ou ses larmes, neutralise toute réelle émotion. La spontanéité du clown – si appréciée lors du fameux palmarès de Cannes – n’a plus aucun sens dans le monde « artificiel » du cinéma, où chaque geste est soupesé plusieurs fois avant d’être effectué.
Enfin, la ressemblance frappante du thème avec celui de La vie est belle discrédite le projet, devenu trop prévisible. Même Nicoletta Braschi, amour omniprésent du cinéaste, semble se lasser et ne plus croire aux déclarations enflammées de sa tendre moitié, répétées au-delà du supportable. Et pourtant, les cinq dernières minutes du film, totalement absurdes et décalées – et de ce fait inracontables – laissent entrevoir ce que Le Tigre et la neige aurait pu vraiment être : un film hors du temps, hors de tout univers cinématographique ordinaire, où l’on croirait dur comme fer à ce tigre perdu sous la neige de l’été romain.