C’est une histoire vieille comme le monde : celle d’un cœur simple, d’un esprit pur, sacrifié sur l’autel de la méchanceté du monde. Arbor et Swifty, enfants, sont deux amis d’un quartier populaire de Bradford, en Angleterre – ville près de laquelle la réalisatrice Clio Barnard a elle-même grandi. Pour le compte d’un ferrailleur peu scrupuleux qui organise aussi des courses de chevaux (l’égoïste du titre), les deux gamins abandonnent l’école et se lancent dans la quête de métaux en tous genres – trouvés ou volés. Drame social peu singulier, c’est par son juste et délicat portrait de deux enfants livrés à eux-mêmes que Le Géant égoïste touche et séduit.
Enfance
Il y a quelque chose d’un autre temps dans ce premier film. Un traitement très littéraire de l’intrigue, qui rappelle les meilleurs récits d’enfance de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Vallès, Gorki… tous ces futurs écrivains qui furent un temps livrés à eux-mêmes dans un monde difficile, rebelles dès l’enfance qui transformèrent leurs expériences en autobiographies – récits forts, étendards d’une soif de liberté sans cesse heurtée par la brutalité des adultes, par les aléas sociaux. La démarche de Clio Barnard qui adapte ici – ce n’est pas surprenant de le découvrir – le conte éponyme d’Oscar Wilde y ressemble beaucoup, s’inscrivant par ailleurs dans le genre très anglais du cinéma social.
Soit Arbor et Swifty, deux meilleurs amis aux familles instables (frère toxico et mère célibataire pour l’un, famille nombreuse et père vendant les meubles pour rembourser ses dettes pour l’autre), bien plus intéressés par la liberté et l’aventure que le monde a à leur offrir que par les longues heures passées en classe. Swifty, le plus sensible des deux, est le suiveur du duo, passionné par les chevaux qu’il sait déjà diriger comme un pro. Arbor lui est plus sauvage, à l’initiative de toutes les bonnes ou mauvaises idées dans lesquelles s’engagent les deux comparses. Les voilà donc à dealer de la ferraille pour Kitten, cet égoïste qui les utilise sans se soucier du danger qu’il leur fait courir… et qui les mènera à leur perte, insinuant au cœur de leur amitié le ver de la cupidité.
Comme le soulignait Olivia Cooper Hadjian à Cannes, le film ressemble malheureusement à beaucoup d’autres. Car l’histoire est commune – efficace et émouvante toutefois, brillant par la maîtrise époustouflante de ses acteurs principaux, tous les deux novices dans le métier. Ils sont, c’est peu de le dire, le noyau affectif du film, et éblouissent par le décalage entre leur condition – des enfants – et la noirceur de leurs mésaventures, par l’écart entre leur statut – des acteurs amateurs – et leur saisissante incarnation des caractères qui servent le réalisme du propos. La trame narrative est donc assez convenue, s’appuyant sur toute une tradition littéraire des récits d’enfance ; mais Clio Barnard parvient à la sublimer par la belle et touchante histoire d’amitié qui déborde le strict réalisme de son anecdote et de sa mise en scène.
Deal, ride, die
Un véritable élan poétique se dégage en effet de la relation entre les deux protagonistes qui se ressemblent peu. De l’inconscience des deux enfants – qui est aussi celle des adultes qui les entourent et les traitent malgré tout comme des personnes responsables – du drame dont ils sont les victimes, s’échappe une émotion saisissante et tragique, un portrait poétique irrigué par des sentiments simples (amour des animaux, amitié, tendresse et entêtement enfantins). Finalement, s’il est une œuvre à laquelle Le Géant égoïste ressemble plus que les autres, c’est sans doute à un autre premier film nourri de la jeunesse d’une autre réalisatrice : Eat Sleep Die, sorti sur nos écrans plus tôt cette année. Malgré un traitement brut de la réalité sociale mise en scène, ces deux films débouchent tous les deux sur une affirmation de liberté et de vigueur, qui font de leurs personnages les victimes d’un monde austère, insensible – face auquel il est bon de montrer parfois un peu d’humanité, de simple émotion.