Rarement a‑t-on vu de bande-annonce aussi hideuse que celle de Ao, le dernier Néandertal. À la voir, on se rend compte que placer son récit sur le terrain de la préhistoire, c’est avant tout lui faire courir le risque du ridicule − un risque auquel échappe malgré les craintes suscitées par ce malheureux incipit le nouveau film de Jacques Malaterre (L’Odyssée de l’espèce). En voilà un grand bonheur, que celui de s’être trompé !
Les mots du réalisateur Jacques Malaterre, présentant son film, sont sans ambiguïté : il n’est pas question avec Ao d’identité nationale, mais d’identité planétaire ; il est aussi question de nomadisme, de rejet de la différence, de famille recomposée… Tournée en conditions naturelles − avec une amplitude thermique pour ses acteurs allant de — 25 à + 40 °C, selon le réalisateur − en 2009, Ao véhicule un message de tolérance que son réalisateur oppose sans détour à l’action du gouvernement contemporain de sa sortie. Un film d’aventures préhistoriques prétexte à un discours politique fort, qui l’eût cru ?
Comme susdit, c’est un plaisir que d’être trompé dans ses idées préconçues − d’autant plus que Ao remplit avec efficacité son contrat narratif. Ao est donc, cela ne surprendra pas les plus clairvoyants de nos lecteurs, le dernier des hommes de Néandertal. Le dernier, vraiment ? Après l’anéantissement de sa tribu, dans l’actuelle Sibérie, Ao décide de partir retrouver les siens, dont il a été séparé enfant, tout au sud de l’Europe. Cette quête, il la poursuit, guidé par le fantôme de son jumeau enfant. Et, évidemment, le périple sera fertile en rencontres…
Avec un sujet comme la préhistoire, un sérieux extrême est à apporter à la narration visuelle, à la crédibilité du propos. À cet égard, il importe de saluer les exploits de nombreux participants : les scénaristes (aidés par Pierre Pelot − co-auteur avec Yves Coppens d’une série de romans préhistoriques − pour la recréation du langage des hommes préhistoriques, impressionnante), les maquilleurs, auteurs de morphologies pré-Sapiens d’une crédibilité remarquable, et surtout des acteurs, dont on imagine sans peine le travail et les répétitions nécessitées, à la fois par le fait de maîtriser un langage très éloigné du nôtre, et un langage corporel étranger à nos comportements actuels. Tous réussissent avec brio.
Jacques Malaterre, de son côté, co-auteur d’un scénario simple et efficace, se focalise sur l’idée de mener son récit vers sa conclusion, sans fioritures (il est à souligner, d’ailleurs, que le réalisateur n’occulte en rien, et c’est heureux, les aspects « physiques » de son récit − sexualité, violence…). S’ensuit une mise en scène peut-être un peu atone, fonctionnelle − comme souvent les films « à effets ». Film « à effets », c’est indéniablement ce qu’est Ao, mais pas seulement.
Jacques Malaterre fait de son Ao un fou, un mystique − il place rapidement son récit sur le terrain du conte, au détriment de la réalité historique. Plus encore, il le place sur le terrain du conte allégorique. Ao est, ainsi, un être dérangé par la tristesse, obéissant à des visions, prêchant la non-violence. Autant dire qu’un tel personnage a peu de chance de prétendre à la précision paléontologique. Malaterre lie, finalement, l’histoire réelle, darwinienne, de l’humanité, à l’histoire mythologique — comme si cet Ao fantasmé était l’incarné de l’homme de l’Âge d’or grec. Avec son conte altruiste, dans les limites imposées par l’exercice, Jacques Malaterre tape juste, précisément où il importe de taper, sans sombrer dans l’angélisme. On eût difficilement pu espérer plus de cet Ao.