L’origine du projet 17 Blocks remonte à 1999, quand le jeune Davy Rothbart offre une caméra numérique à ses voisins, la famille Sanford. Au fil des années, ces derniers filment leur quotidien et décrivent indirectement les conditions de vie dans un quartier défavorisé de Washington. Lorsque l’un des enfants Sandford est tué par balle lors d’une tentative de cambriolage, l’idée vient au réalisateur de reconstruire leur histoire sur plusieurs années à partir des rushes accumulés. Sauf qu’il ne se contente pas de ce matériau documentaire brut : dans le but de poursuivre son récit au-delà du drame, Rothbart filme lui-même des séquences supplémentaires. Le puissant dispositif documentaire initial de 17 Blocks se retrouve ainsi gâché par la scission du film en deux points de vue différents, pour ne pas dire contradictoires.
Confusion des rôles
Les moments filmés spontanément, souvent très émouvants, se regroupent essentiellement dans la première partie du film. En creux des captations du quotidien et des « interviews » réalisées au sein de la famille, le changement des corps au fil des années donne à voir les souffrances d’une population exposée au stress, à la malbouffe, à la drogue, tandis que les regards s’illuminent à l’évocation des rêves de réussite et de l’espoir de jours meilleurs. Malgré certaines séquences très réussies, le problème majeur du film se noue au détour d’une séquence en flash-forward. On découvre Cheryl, la mère de famille, sonnant à la porte de son ancienne maison. Le propriétaire la laisse entrer sans poser de question, apparemment indifférente à la présence d’une caméra. Ainsi montée, la scène emprunte ses codes télévisuels au reportage sensationnel, avec comme promesse l’évocation à venir du drame permettant de comprendre l’émotion de Sheryl. Or, qui est à l’origine de l’idée de cette visite ? Est-ce vraiment la personne filmée, ou plutôt le réalisateur qui place sa protagoniste dans cette situation ? On le comprend, ce simple questionnement jette un trouble quant à savoir qui raconte vraiment cette histoire.
Redemption song
Le problème s’amplifie quand peu à peu de nouveaux dispositifs apparaissent au cours de la seconde partie du film. Une scène de dialogue en champ-contrechamp parfaitement cadrée peut ainsi venir s’installer tout naturellement entre deux moments captés sur le vif. À l’origine metteurs en scène de leur propre histoire, les membres de la famille se retrouvent de cette manière peu à peu cantonnés au rang de protagonistes soumis au regard d’un autre. Et si l’on sent bien que David Rothbart est plein de bonnes intentions (la dénonciation des inégalités, de l’omniprésence du trafic de drogue et du danger que représente le port d’arme dans un pays soumis à de fortes tensions sociales), on ne peut que déplorer le choix de se détourner d’un point de vue « intérieur », rendu possible par l’existence des rushes évoqués. En mêlant ces précieux fragments, au risque de les noyer, avec des scènes uniquement tournées pour servir un récit de rédemption convenu, Rothbart rate l’occasion de proposer un regard nouveau sur la violence systémique de la société américaine.