Le film de Jean-Pascal Hattu suit les errances d’un trio prisonnier. Qu’il soit physique ou non, l’enfermement des personnages est sobrement appuyé par la composition des plans qui les isolent ou les écrasent. Maïté se crée des habitudes pour tromper l’attente mais se perd en trompant son mari. Le trio Valérie Donzelli, Cyril Troley et Bruno Todeschini, tout en retenue et mutisme, donne au film la force de convaincre.
Avant la file d’attente le long d’un mur à la taille indéfinie, avant le parloir, il y a Maïté qui repasse des vêtements d’homme. Dans la manière de les plier, dans le geste avide et économe d’une vaporisation de parfum, l’absence se diffuse dans l’air. Maïté vit seule dans une maison un peu grande, dans un lit un peu vide. Vincent, son mari, est en prison pour sept ans. Visiblement, la rupture de la vie commune est assez récente mais cette femme longue et fine, au visage plutôt froid (Valérie Donzelli) ne se lamente pas. Elle a l’énergie d’une rage discrète qu’elle évacue entre la garde du fils d’une voisine et son mari ou à défaut le repassage de ses affaires.
7 ans est le premier long métrage de Jean-Pascal Hattu. Assistant-réalisateur de Téchiné sur Les Roseaux sauvages et Les Voleurs, il a ensuite réalisé quelques courts métrages et des films pour l’émission de documentaires Strip-Tease. C’est l’un d’eux (Gardez le sourire) qui l’inspirera pour 7 ans. On ne saura jamais ce qu’a fait Vincent pour écoper de cette peine, car l’intérêt n’est pas là. L’intérêt, c’est comment survivre à une telle période sans perdre l’autre ou se perdre soi-même.
Pour Maïté, préparer le linge de son mari, sentir son odeur et lui renvoyer la sienne est un rituel rassurant. Dans un premier temps, on pourrait presque voir sur le visage de Valérie Donzelli des expressions de plaisir dans l’accomplissement de ces tâches devenues plus que ménagères. Ce rituel donne un rythme à sa vie : le parloir deux fois par semaine et le reste à remplir, de souvenir et de travail. Même les visites de son amie Djamila (Nadia Kaci) correspondent aux horaires de gardes de son jeune fils. Il y a donc des enfermements et des rituels pour les combattre, parfois efficacement. Mais le temps pèse. Rapidement, les petites habitudes de Maïté changent imperceptiblement de statut. Il y a un certain poids dans ces répétitions que Jean-Pascal Hattu a l’habileté de faire passer dans le jeu de Valérie Donzelli et non dans la répétition outrancière de ces scènes.
Maïté rencontre Jean devant le large mur de la prison. Il l’aborde en tant que frère d’un prisonnier. Elle se laisse ramener en voiture puis se donne à lui. Comme une hygiène physique, le sexe dans cette voiture trouve sa place et remplit un peu la semaine, bouscule agréablement les habitudes. Mais elle apprend que Jean n’est pas le frère d’un prisonnier. Il est gardien à la prison, Vincent et lui sont proches. L’amitié forcément ambiguë qu’il peut exister entre un prisonnier et son geôlier est ici renforcée par Maïté. À ce moment du film, impossible de savoir ce que les deux hommes pensent, ce qu’ils se disent entre eux. Les personnages de 7 ans ne sont montrés que sous une infime partie de leur vie et de leur personnalité. Les hommes particulièrement : Vincent, peu visible mais qui se révélera être l’axe du trio, et Jean qui n’apparaît presque jamais seul. Ce choix du réalisateur de couper le spectateur d’informations sur ses personnages leur confère une présence particulière, rendue forte par leur mutisme et le jeu des acteurs. Les dialogues brefs entre Jean et Maïté renforcent l’absence du reste de leur vie. Elle, particulièrement, évite d’évoquer son quotidien ou ses sentiments pour Jean. Seul sujet de conversation – et c’est en ce sens que Vincent est l’axe du trio – le prisonnier. La situation à trois est déjà ambiguë, elle deviendra par la suite malsaine.
Le moyen d’évasion qu’était Jean pour Maïté se mue en enfermement. La voiture, lieu du sexe, est filmée comme une cellule. Plusieurs fois, la caméra montre le couple, puis en plan large, la voiture au milieu d’un paysage de nature, comme s’il était impossible de sortir du véhicule, de cette relation physique. Même lorsque Jean essaye de modifier leurs rapports, Maïté s’y refuse : au-dessus d’eux plane l’ombre de Vincent. La mise en scène prend alors tout son sens : les plans enferment les personnages et les paysages vides de champs et de forêt les isolent. Le parloir, la maison, la voiture, les lieux où évolue le trio sont fermés. À l’intérieur, la composition des plans les recadre et les enferme un peu plus en laissant visibles des pans de murs, des objets qui diminuent l’espace.
Dès lors, il s’agira de briser ce cercle vicieux qui écrase les personnages. 7 ans compte beaucoup sur le jeu en finesse des acteurs pour faire sens malgré la sobriété impliquée par la mise en scène. Valérie Donzelli et Cyril Troley y parviennent largement et font tenir l’ensemble. En revanche, le film refuse d’adopter un rythme évoluant avec la dégradation de la situation. La tension naît parfois mais ne paraît jamais éclater, même lorsqu’il y a violence. Si ce jeu de la stagnation et de la sobriété donne une impression de réalisme, il produit aussi quelques lenteurs qu’une mise en scène encore plus appuyée aurait pu compenser.