Nelly a la trentaine, elle est belle, elle est regardée, elle marche, elle est aimée. Bref, n’importe quelle personne normalement constituée la porterait dans son cœur, aussi dédaigneux soit-il. Nelly est une femme passionnée. En plus, elle perd son mari, la mignonne. Lui pardonne-t-on ses élans désespérés légèrement empruntés ? À moitié. On ne reste pas insensible à la hargne de la jeune veuve à défendre le cadavre de son mari, bien que le résultat ne soit pas très concluant.
La caméra est à l’épaule, hésitante. On entre dans l’univers de Nelly par le biais du chien qui parcourt le plancher d’une maison. Chaque pièce est présentée, sans fard, sans effet grandiloquent. Troublant de réalité ? Plutôt attendu. Une femme marche, court dans la forêt, crie, se débat dans le monde impitoyable des pompes funèbres et des villageois bien-pensants. Le personnage de Nelly, on le comprend très vite, est le principal centre d’intérêt de l’actrice passée à la réalisation Laure Duthilleul. Cette dernière la suit partout, la filme en gros plan la plupart du temps. Sa veuve éplorée n’est pas n’importe qui : Sophie Marceau. Elle tente de porter à bout de bras un scénario un peu mince. Effectivement, elle est tout à fait mise en valeur par les costumes (tout lui sied, semble-t-il, à ravir), les éclairages (une des réussites du film, de nuit comme de jour, Sophie Marceau est sans cesse dans la lumière, comme l’astre qui éclaire un monde tout entier) et les cadrages, tantôt statiques sur elle, tantôt en mouvement comme pour élever Nelly au rang de symbole de la vie. C’est bien simple, on ne voit qu’elle. Et il faut avouer que l’actrice impose une certaine présence, bien que quelques scènes sonnent faux de temps à autre : pourquoi crier dans un couloir en s’effondrant sur un parquet qui n’en avait pas demandé tant ? La protagoniste perd de son sens lorsque l’actrice singe le désespoir. On passera aussi sur les dialogues simples, voire simplistes, qui laissent parfois Sophie Marceau prononcer des inepties comme « J’suis peut-être née pour être veuve », dont la viabilité est plus que douteuse.
L’intérêt du film réside justement dans le fait qu’il ne porte pas sur la tristesse du deuil : il s’agit davantage de l’histoire d’une renaissance. La veuve désemparée s’enferme tout d’abord dans le recueillement pour faire rapidement jaillir la vie dans un univers endeuillé. Au travers de ses enfants notamment, mais surtout au travers d’un rapport quasi fusionnel à la nature. Là encore, il est fort dommage que Laure Duthilleul se soit sentie obligée de jouer la carte du spectaculaire et du démonstratif. Les plans obtiennent une forme d’élégance lorsqu’ils s’attardent sur le grésillement des feuilles laissées au gré du vent, sur les habitants d’une forêt calme et vivante, ou, par une nuit, sur les bords d’une route, sur les arbres dont les mouvements rappellent les bras d’un homme bienveillant. On comprend dans ces moments de respiration que Nelly est tout acquise à la vie. Mais c’est quand elles basculent dans l’exagération que certaines scènes frôlent le ridicule, ou l’intègrent totalement. Le film en possède un spécimen particulièrement comique : le lendemain du jour fatal, Nelly ne peut plus supporter la mort dans son domaine. Elle part alors courir dans la forêt, à cœur et à corps perdu, et, allongée sur le sol fertile de nos régions, se met à gratter la terre avant de se jeter à l’eau, comme pour communier avec une nature qui ne demande qu’à l’accueillir. Ce n’est pas sa tombe qu’elle creuse, mais celle de son ancienne vie. Au-delà des symboles emphatiques ou flous, Nelly, dans cette scène, ressemble plus à une énergumène qui aurait Médée comme idole absolue, qu’à la femme passionnée et courageuse que le film dépeint. Et la nature perd son sens en devenant le lieu banal des accès de folie incompréhensibles de Nelly.
L’argument n’a donc pas ici une importance capitale : une femme perd son mari, renvoie les pompes funèbres pour garder le corps tandis que son beau-frère charpentier (par ailleurs amant de la belle, car le mari mort ne remplissait plus son devoir conjugal depuis quelques lustres, elle ne porte d’ailleurs pas d’alliance) insiste pour construire la dernière demeure du défunt. Elle tente de survivre auprès de ses enfants dans ce moment ô combien douloureux. Si le film se résume souvent aux aventures de Sophie Marceau dans la maison, au travail, sur la place du village, il serait injuste de ne pas rendre hommage aux trois enfants qui peuplent assez joyeusement et gracieusement l’espace d’À ce soir. De jeux dangereux en courtes scènes d’adieux à leur père, ce sont eux qui attendrissent nos yeux, ce sont eux que l’on suit avec le plus d’intérêt, ce sont eux que l’on croit. Il est assez curieux de constater une telle différence de traitement entre adultes et enfants : les premiers surjouent souvent, sont visiblement en représentation, sont presque trop construits pour être vrais ; les seconds existent, et cela leur suffit pour nous introduire dans leurs parties de cache-cache et leurs incompréhensions de la mort.
À ce soir n’est pas un film triste : il tente même de faire rire, et y parvient à la toute fin, lors de la scène assez délirante de la sortie du cercueil par la fenêtre. Mais il hésite sans cesse entre le portrait de Nelly et la peinture familiale. Le résultat est que l’on ne s’attache ni au personnage interprété par une Sophie Marceau qui change en permanence de registre, ni aux autres qui apparaissent pour disparaître aussitôt. Cependant, les lumières d’automne, éphémères, poétiques, invitent notre imagination à un voyage qui, malheureusement, ne se fait pas dans le cadre du film.