After Yang de Kogonada débute par une première heure assez laborieuse, où l’on suit le quotidien d’une petite famille bouleversée par le shut-down soudain de l’un de ses membres, un androïde prénommé Yang. On y voit Jake (Colin Farrell), vendeur de thé, traîner la carcasse inerte de son fils artificiel dans des intérieurs ternes, à travers des plans inutilement longs où la caméra, privilégiant gratuitement des angles assez incongrus, reste à distance des corps. Le film modifie ensuite légèrement son dispositif, lorsque Jake endosse des lunettes lui permettant d’accéder à la mémoire de l’androïde en panne. Les souvenirs sont lus comme des fichiers vidéo, c’est-à-dire avec la possibilité de les rembobiner, de les jouer en boucle, de zoomer à l’intérieur des images pour, parfois, révéler une information importante à propos de la vie de Yang. Ce n’est pas qu’un détail : avant de réaliser des longs-métrages, Kogonada s’est fait connaître en tant que mashupper et créateur d’essais vidéo sur le cinéma, pour la revue de cinéma Sight & Sound ou la maison d’édition Criterion. On sent effectivement que le montage d’images — leur extraction, leur manipulation et leur modification par l’interaction — l’intéresse davantage que la fiction.
Il y a quelque part deux films en un dans After Yang : le premier serait une œuvre de science-fiction un brin neurasthénique, au croisement du cinéma de Spike Jonze et de celui de Yorgos Lanthimos ; le second un essai visuel gentiment « expérimental » sur la faculté contemporaine qu’ont les individus d’accéder eux-mêmes aux images pour mieux les modifier et se voir transformés en retour. Sur ce terrain, le film semble bien saisir les enjeux d’un monde devenu interface, dans lequel les fantômes surgissent désormais sous la forme de pixels, et où la moindre investigation, qu’elle soit pragmatique ou existentielle (qu’est-il arrivé à Yang ? Comment a-t-il vécu en tant qu’androïde ?), implique de plonger dans un océan de données audiovisuelles. Dommage que ces intuitions soient en permanence noyées dans une imagerie arty et des dialogues particulièrement insipides sur la condition humaine et les bienfaits de la théine.