Elles ont de 20 à 60 ans, sont très dissemblables et travaillent pour le même journal quotidien. Les quatre copines, chacune pour leurs raisons, décident d’un jour « J » pour aller consommer un toy-boy : un prostitué mâle. Si Ah ! la libido peine un peu à démarrer, il parvient à trouver une vitesse de croisière pleine d’une belle fantaisie. Dans le paysage dévasté de la comédie de mœurs nationale et alors que l’infâme LOL vient d’être commis, on se réjouit grandement de pouvoir accoler les termes suivants au genre : intelligence, drôlerie et élégance.
On ne sait pas une foule de choses à propos de Michèle Rosier, sinon qu’elle a de la bouteille. Une discrète cinéaste depuis 1973 (une douzaine de films, fictions et documentaires) après avoir bourlingué dans le journalisme et le modélisme dans les années 1950 et 1960. On retiendra une photo du dossier de presse où on la voit à côté de la caméra, agrippée au pied de celle-ci. La mine est rigolarde et resplendissante. Même derrière les lunettes noires, on devine un air malicieux, affranchi et impertinent. Ah ! la libido ressemble beaucoup à ce cliché de la cinéaste.
Elles sont donc quatre et travaillent pour le quotidien Libération : en route pour les présentations. Honneur à l’aînée, Paula (Claude Degliame) est une femme mûre, cultivée et élégante. Betty (Audrey Dana) et Charlotte (Sarah Grappin) sont au cœur de la trentaine. La première est photo-reporter, une brune plantureuse et baroudeuse. La seconde, rédactrice un brin intello et pleine de charme, vient de se faire larguer alors qu’elle est la mère d’un petit garçon issu d’une précédente relation. Et enfin Sandy (Anna Mihalcea), 20 ans et standardiste de son état, est une jolie blonde un peu boulotte aux yeux pétillants. Ce sont des femmes de notre époque, version urbaine et moderne. La cinéaste note que « l’indépendance financière acquise en travaillant, la distance prise avec la religion et, du coup, la disparition de la notion de péché, favorisent une plus grande liberté amoureuse et sexuelle ». Choisie ou non, la solitude est une extension potentielle de ce mode de vie, et même à deux, Paula est mariée, l’insatisfaction guette. Surtout si l’on considère le cas de Sandy, dont la généreuse poitrine obsède complètement un journaliste bellâtre totalement libidineux…
Pour installer cette solitude, on a droit au retour à domicile avec zéro message sur le répondeur. Mais cela passe par des plans bien sentis. En ouverture, une foule défile dans le flou, comme pour signaler une époque anonyme, où le contact avec la multitude est loin de signifier une sociabilité fournie. Quelques images furtives, sommets des toits en zinc détrempés ou grands axes surchargés à la tombée de la nuit, participent de cette mélancolie installée efficacement. Pour le reste, on a droit à des scènes de femmes-entre-elles, notamment à la cafet’, avec ce qu’il faut d’autodérision aussi bien dans les dialogues que dans la mise en scène. Le jeu tout en décalage de Claude Degliame est une pure merveille avec cette voix grave trimballant une magnifique ironie désenchantée. N’y a‑t-il pas quelque chose d’indécent à « s’occuper de son cul et de son corps quand le monde va si mal » ? balance-t-elle. Il faut dire que le processus qui mène ce quatuor à faire appel à des « hommes tarifés pour avoir des rapports sexuels » n’est pas le point fort de Ah ! la libido. Car le film prend véritablement son envol à partir du moment où les trajectoires se séparent et que chacune chemine vers son sex-toy.
On s’amuse de l’orgueil de Betty qui dit y aller comme on va au sport et se présente finalement en robe de gala pailletée. On est carrément transporté par la sublime séquence où Paula se rend au « paddock ». Pour cela, Michèle Rosier a reconstitué avec un décor rouge le tableau « Au salon de la rue des Moulins » de Toulouse-Lautrec, dans lequel des prostitués sont en attente dans un salon. Ici, le visage de la cliente se reflète dans le miroir sans tain pendant qu’elle observe les éphèbes qui se prélassent. Ce faciès esquisse de subtiles variations oscillant entre sidération, amusement, inquiétude et gourmandise. Quand on prend connaissance du C.V. du directeur de la photographie Emmanuel Machuel (Van Gogh de Maurice Pialat, Ossos de Pedro Costa ou entre autres Oliveira pour La Lettre), on comprend cette belle capacité à filmer les corps, aussi bien un pénis en érection que de belles courbes alanguies, avec justesse et sans fausse note. Ceci sans les instrumentaliser et en parvenant même à faire exister les personnages masculins, tout en cultivant une réjouissante drôlerie. Le respect de ceux qui se trouvent à l’écran ou devant lui, voilà une bonne manière que la comédie perd beaucoup trop souvent de vue.