Premier long-métrage de fiction d’un jeune réalisateur mexicain, Alamar attise le regard et force l’admiration par sa finesse et la maîtrise d’un propos jamais bavard. Intelligemment pensé et balisé, le film, sans s’étirer en longueur, regorge pourtant d’images fascinantes. Une histoire de transmission sertie de bijoux de personnages.
Parfois, en une heure dix, un moment de grâce cinématographique se produit. Un seul premier film peut suffire à imprimer une signature toute personnelle. Dès ses premières minutes, Alamar donne à voir un regard sensible, tout en finesse : quelques photos aux couleurs passés, fixées sur l’écran, un prologue pour poser le passé commun d’un homme et d’une femme. Une douceur qui se dégage de la voix off, celle de la femme commentant les photos qui défilent. Sobrement, en quelques phrases, l’histoire du couple est posée : elle, Italienne, est venue travailler au Mexique, lui, Mexicain d’origine indienne, vit dans la nature. Leur rencontre engendre Natan, puis, leur séparation, sans violence, conséquence du simple constat de l’irréconciliable de deux univers, l’urbain et le rural. De Roberta, on ne verra que quelques images : le cadre de son petit appartement de Rome, où elle vit avec Natan. Et le retour de son fils, après les vacances passées au Mexique avec son père. Le cœur d’Alamar git dans cette parenthèse de vie : Natan, son père et son grand-père dans une cabane sur pilotis, égrainant les journées entre pêche, nettoyage des poissons, repas. Parenthèse balisée par la rupture entre les images de mer qui irriguent tout le film et celles du macadam romain où grandit Natan. Les photos du prologue, ne constituant en rien une posture stylistique, ont simplement posé les marques d’une époque révolue. Le film peut alors s’engager dans le mouvement, celui de l’accompagnement d’un petit homme dans tout ce qui va le construire. Celui du futur.
Les personnages d’Alamar ne sont construits sur aucune aigreur ; nul regret, nulle psychologisation lourde. Le propos de Pedro González-Rubio n’est pas de s’attarder sur d’incessantes questions, sans doute sans réponse, sur la séparation de ce couple. Dans cette portion de vie qu’il choisit de mettre en scène, tout coule, comme l’incessant mouvement de la mer, personnage à part entière du film. Autour d’elle, c’est à une histoire de transmission que nous convie le cinéaste, dont le propos est condensé dans le joli jeu de mots du titre : « Alamar », c’est à la fois « a la mar » (« à la mer ») et « al amar » (« à aimer »). Hormis les images à Rome du début et de la fin du film, tout se déroule à Banco Chinchorro. Cette réserve naturelle de la biosphère, sur la côte caraïbe mexicaine, à trente kilomètres de la frontière avec le Belize, abrite l’une des plus importantes barrières de corail au monde. Lieu totalement isolé, habité des mineurs et des pêcheurs, sans femme. Pour autant, nulle volonté d’éluder le féminin au profit d’une rencontre artificiellement virile. Alamar n’est absolument pas bâti sur une prétendue dichotomie entre la transmission d’une mère à son fils et celle d’un père à son fils. Pedro González-Rubio met en scène une famille décomposée qui veut tirer le meilleur parti des univers de chacun ; la ville et ses multiples possibilités du côté maternel, la mer et le rythme naturel des jours du côté paternel. Les habituels attributs féminins (douceur, écoute, sensibilité…) sont tout autant pris en charge par le trio grand-père, père, fils que par les gestes maternels des scènes du début avec la mère.
L’intelligence et la finesse d’Alamar résident dans son absence de bavardage. Le cinéaste a su tirer le meilleur parti du cadre naturel où il a planté sa caméra. Un cadre qui ne doit rien au hasard et qui n’a pas été choisi simplement pour ses qualités esthétiques. L’économie de dialogue n’est pas ici une simple figure de style, tant la parole semble prise en charge par l’image. Le film est comme empreint de l’expérience de documentariste du cinéaste : dépouillement de l’intrigue et des dialogues, part importante laissée à l’improvisation des comédiens. Amateurs, ils jouent ici des rôles très proches de ce qu’ils sont en réalité. La répétition du quotidien (pêche, préparation des repas…) se calque sur le mouvement de la mer, que le réalisateur filme avec des points de vue et des cadres originaux, dans un style parfois proche de la caméra subjective. Sur le bateau, la caméra est embarquée avec les personnages, mouvante comme eux. Dans l’espace restreint de la cabane, elle est presque collée à eux, pour ouvrir de nouveau vers l’horizon lorsqu’ils se trouvent sur la terrasse.
Maîtrisant son film de l’écriture au montage en passant par la production, Pedro Gonzalez-Rubio, parvient à porter l’émotion par le sens de l’image. On le croit volontiers lorsqu’il se dit inspiré d’un style comme celui du Mauritanien Abderrahmane Sissako. Dans son approche formelle, Alamar présente un certain cousinage avec En attendant le bonheur (2003) : peu de dialogues, nature et insertion des personnages dans celle-ci au premier plan, langueur du rythme, intrigue minimaliste, horizon des possibles. Au bout de l’heure et quelque d’Alamar, on a envie de suivre son auteur avec autant de bonheur qu’on a à suivre Sissako.