Lorsqu’il est sorti au Maroc en 2008, Amours voilées, premier film d’Aziz Salmy, a déclenché des polémiques et a été menacé d’interdiction. Sans avoir vu le film (comme cela a récemment été le cas avec Hors-la-Loi, de Rachid Bouchareb), ses détracteurs ont crié au blasphème, à la provocation. Si le cinéaste explique avoir voulu dénoncer une certaine hypocrisie de la société marocaine, qui n’hésiterait pas à transgresser les principes qu’elle défend, on s’étonne, à voir le film, de la virulence des attaques dont il a été l’objet.
Batoul est une jolie femme de 28 ans. Médecin apprécié, financièrement à l’aise, entourée d’amis, elle semble moderne, indépendante et épanouie. Elle rencontre un jour Hamza, divorcé et père, et une idylle heureuse commence entre eux. Pour Batoul, l’amour signifie le mariage, la fondation d’une famille. Hamza, lui, n’a aucune envie de s’engager. L’attachement que Batoul porte aux traditions, jusqu’à présent assez discret, devient alors de plus en plus évident et source de tensions dans le couple.
On entre dans Amours voilées avec méfiance : les acteurs sont beaux, les personnages presque tous sympathiques, les plans sont léchés, le montage est classique… nous pourrions bien avoir là un téléfilm sans grande profondeur. Le film a été un beau succès en salles (notamment auprès des femmes), ce qui n’a rien d’étonnant tant il est facile à suivre : les personnages sont bien dépeints, le rythme est bon, le récit évolue linéairement sans temps morts. À la simplicité de la forme répond une thématique complexe, celle du délicat équilibre à trouver entre la tradition et la modernité. Aziz Salmy ne se prononce pas à cet égard, il pose le problème en le nuançant et laisse le spectateur réfléchir par lui-même.
Pas de manichéisme ici. Si la famille de Batoul est attachée à des principes moraux et religieux, elle n’étouffe pas la jeune femme. Et si Batoul insiste pour se marier avec Hamza, elle n’en transgresse pas moins des interdits. Elle n’opte pas pour la facilité du mariage conventionnel que lui propose un homme dévoué à l’Islam et sincèrement attaché à elle, elle fait le choix plus courageux d’épouser celui qu’elle aime. L’ampleur de son problème réside dans cet écartèlement entre deux ordres de valeur, la liberté de décider de sa vie et le respect des contraintes imposées par la société. Batoul est entourée d’une ribambelle d’amies dont les propos résonnent avec l’histoire principale. Tout en étant modernes, ces femmes ressentent, chacune à leur façon, le poids de leur inscription dans la société marocaine.
Le sujet d’Amours voilées est traité avec des nuances, le film ne véhicule aucun discours radical pouvant expliquer les tollés qu’il a soulevés (la fin, notamment, est intelligemment inconclusive, elle laisse les personnages se débrouiller avec leurs conflits et évite de les figer dans un sens définitif). Si l’on regrette le classicisme de sa forme, Aziz Salmy propose de façon honorable un tableau de la part de la société marocaine qui se cherche.