Ander est un premier long et on ne s’en étonne pas. C’est aussi un film de commande, à l’initiative du BERDINDU (le Bureau Basque d’Attention aux Gays, Lesbiennes, Bisexuels, Transsexuels et Intersexuels). La contrainte : ancrer la thématique GLBT dans le pays basque. La réponse de Roberto Castón : utiliser le contexte rural pour traiter de l’intégration sociale. Un environnement morne auquel le film doit sa rudesse initiale, l’âpreté de ses premiers plans, et une mise en scène monocorde. Mais peu à peu, l’acclimatation. On entre dans le film comme on passe la porte d’un lieu qu’on habite provisoirement, et on se met à table…
Trois images du film, une bande-annonce, et on pense savoir déjà tout d’Ander. Un paysan basque quadragénaire, au nom éponyme, ventru et chauve, vit toujours sous le même toit que sa mère et sa jeune sœur, bientôt mariée. Mais une mauvaise chute d’Ander, l’immobilisant temporairement, va contraindre la famille à employer quelqu’un. Ce sera José, un travailleur péruvien aux traits (et à l’esprit) plutôt fins. Pas besoin de faire un dessin ? Et pourtant… Malgré une trame scénaristique assez simple, Ander se révèle être magnétique.
Il n’est pas futile de s’attarder sur la description physique de José et Ander, car si le film fait l’économie de dialogues, c’est le langage des corps qui façonne le récit d’amour. Celui d’Ander, l’infirme, dont le désir prisonnier est matérialisé par sa jambe plâtrée, et de José, l’étranger ardent qui parle castillan. Ces corps-personnages traversent le champ, comme égarés dans un espace restreint, confiné, dévoré par les meubles de bois massif et les tapisseries vieillottes de la maison familiale. Ce labyrinthe monotone de pièces sinistres devient le déroulé d’une routine quotidienne : chambre, salle de bain, cuisine. La cuisine : une pièce centrale. Un petit théâtre de mœurs, un territoire où les regards se croisent, s’évitent, se manquent, où la norme épouse les lignes d’une nappe à carreaux. L’expression d’un monde où tradition rime avec répétitions, où les filles portent le même prénom que leur mère.
Les deux heures huit du film racontent le renversement de ce standard routinier par le soulèvement des trois exclus : l’homosexuel, l’étranger et la prostituée mère célibataire. Cette révolution en huis clos passe par la prise de pouvoir de cette cuisine, un espace qui se réaménage en fonction des nouvelles lois du clan. Une nappe de couleurs, un plat ragoûtant, une nouvelle famille se constitue, singulière, bigarrée : imparfaite comme il se doit.
Avec son rythme alangui, on retiendra d’Ander ses moments de grâce, quand bien même le scénario impose une scène bestiale. Comment rendre compte d’ébats sexuels dans les toilettes hommes pendant un mariage ? C’est la durée juste et intense d’un plan séquence, et le jeu sobre et physique des acteurs qui font de cet événement charnel, l’élégant bouleversement amoureux de deux hommes en quête de délivrance. Castón ne recule devant aucun défi de mise en scène, mais ne cherche pas réponse à tout : l’amour reste heureusement une énigme irrésolue par l’aiguillage de sa caméra.