Réalisateur, acteur, scénariste : c’est sous une triple casquette que John Turturro revient derrière la caméra – ou au cinéma tout court, c’est selon, tant l’acteur semble avoir perdu de son aura depuis la fin des années 1990. Triple casquette mais aussi triple échec, qui ne tient pas tant à une absence de talent qu’à un désinvestissement artistique total. Pas de mise en scène dans Apprenti gigolo, tout au plus quelques effets de manche ridicules ici et là en guise d’amorces de plans, pas d’acteur non plus (impassible, le visage fermé, Turturro passe des rues de New York aux jambes de ces dames avec la même mine renfrognée), et enfin, pas de scénario.
Trois pistes narratives évoluent en parallèle : une comédie générationnelle sur un gigolo (à l’instar de la série Hung, le film ambitionne de questionner l’évolution de la sexualité féminine par le biais de la prostitution masculine) un peu piteuse, très superficielle, et qui au fond n’intéresse pas du tout son auteur. Une autre, appelant aux réflexes pavloviens du spectateur, brandit la carte Woody Allen, très en forme, tout heureux qu’il est de pouvoir ressusciter son rôle de névrotique affable en dehors de ses propres films. Et enfin, c’est là où le film bascule réellement dans le rafistolage narratif, survient une incompréhensible romance entre l’apprenti prostitué et une veuve juive orthodoxe (Vanessa Paradis).
Apprenti dépressif
Quel lien unit ses trois films, plus ou moins indépendants ? Apprenti gigolo, c’est là sa singularité, n’échoue pas seulement sur son versant comique mais sombre de surcroît dans une morosité profonde. Entre les has-been (Sharon Stone, Turturro lui-même, et dans une moindre mesure Vanessa Paradis) et les never-been (Liev Schreiber, l’incorrigible, et Sofia Vergara), les visages qui parcourent le film ne sont là que pour incarner, chacun leur tour, les ravages du temps. Il faut voir l’angoisse d’une Sharon Stone bouffie, ex-sex symbol jouant ici une épouse mélancolique effrayée de ne pouvoir plus plaire (bonne idée de casting, bien que cruelle), les traits quasi cadavériques de Vanessa Paradis, enturbannée telle une momie, et le regard figé de Woody Allen, à rebours de ses gesticulations d’acteur ravi.
Mausolée peuplé de morts-vivants, Apprenti gigolo parvient néanmoins à sortir de son apathie dépressive à l’issue d’une scène de procès hassidim où l’intrigue se dénoue dans une atmosphère d’enterrement. Une fois les personnages extraits de ce tombeau, ils leur est dès lors possible de revivre, et de prendre un nouveau départ. Une note finale un peu forcée et normative mais qui prouve que John Turturro, entre deux shoots de Xanax, n’a pas complètement perdu tout espoir de renaissance.