Aurore, l’héroïne du film de Nils Tavernier, a un problème: elle ne peut exercer librement sa passion pour la danse et son père veut la marier à un prince pour assurer la survie du royaume. Aurore, le film de Nils Tavernier, a également un problème: un cruel manque de rythme et une réalisation qui, contrairement à notre danseuse, ne s’envole pas. Non dénué de charme et de poésie, le film pourra néanmoins séduire les amateurs de contes.
Aurore est à n’en pas douter un conte, dont le respect de tous les ingrédients force l’admiration. L’héroïne est une jeune princesse aussi belle que gracieuse, dont la passion pour la danse est contrariée par l’interdiction mise en place par son père. Ce dernier, averti par son conseiller que les caisses du royaume sont presque vides, décide, sur les conseils du malveillant, d’organiser des bals – trois, plus exactement, selon un rythme ternaire récurrent dans le film – afin de présenter sa fille à de riches princes et pouvoir ainsi la marier. Mais la princesse, têtue et passionnée, non seulement continue de danser mais aussi jette son dévolu sur le jeune peintre chargé de réaliser ses portraits.
La réussite de Nils Tavernier est d’avoir su donner corps à cet univers de fées et de princesses. Dès la scène d’ouverture, montrant Aurore dansant en robe blanche sur une pelouse d’un vert bleuté qui n’existe que dans les rêves, nous entrons dans un univers parallèle, où les fées se transformant en oiseaux et le monde des nuages existent. Essentiellement connu pour ses documentaires, Nils Tavernier déclare avoir voulu assumer avec Aurore son désir d’esthétisme. Ainsi, une attention particulière a été apportée aux éclairages, aux décors et aux costumes. Les couleurs du film ne sont pas anodines, de même que le léger voile vaporeux qui semble envelopper la plupart des scènes.
Mais si l’esthétique du film possède sa propre personnalité, nous ne pouvons malheureusement pas en dire autant de la réalisation de Nils Tavernier, qui a sans doute mis toute son énergie dans les détails plastiques plutôt que dans la mise en scène. Le film souffre d’un cruel manque de rythme dans toute sa première partie et un scénario traitant de la passion pour la danse, de la fraîcheur et de la pureté de la jeunesse aurait mérité un traitement plus aérien, plus inspiré. À l’image de la princesse, corsetée dans sa robe de bal et contrainte de danser un insipide menuet, elle qui ne rêve que de pas chassés et d’arabesques, la mise en scène se contente la plupart du temps de suivre l’action. L’utilisation constante du panoramique pour filmer les arrivées d’Aurore dans la salle de bal témoigne de ce fatidique manque d’inspiration.
Seules les scènes de bal proprement dites obtiennent les faveurs d’une mise en scène en accord avec son sujet. La première chorégraphie se compose de danses orientales, destinées à réveiller la part de sensualité qui sommeille chez la toute jeune Aurore. Les corps sont donc exaltés, les mouvements magnifiés. Le second bal présente une séquence de butô, danse japonaise née après les bombardements d’Hiroshima et mettant en scène dans un même mouvement la mort et la renaissance. La réalisation se fait alors plus âpre, plus tendue. Enfin, la caméra se rapproche des visages des danseurs européens du dernier bal, symbole du sentiment d’amour qui naît en Aurore pour le jeune peintre.
En dépit de ses recherches formelles, Aurore souffre d’un manque de souffle et risque fort de laisser certains spectateurs au seuil du royaume. Pour ceux qui seront parvenus à y rester, le plaisir viendra de l’originalité de ce monde hors du temps, sorte d’enclave de pureté, de la légèreté des pas de danse de Margaux Chatelier et de l’interprétation de Carole Bouquet, qui incarne une reine noble et douce, et de François Berléand, souverain dur au cœur tendre. Pour un premier long métrage de fiction, Nils Tavernier a au moins le mérite d’assumer ses choix, tant dans le sujet que dans le traitement. Une audace à souligner.