En février dernier, François Bégaudeau livrait au Théâtre du Rond-Point un one man show atypique où il examinait neuf moyens de « réparer le monde », de l’avènement d’un Messie à la Révolution en passant par le yoga et l’Eurovision. Avec Autonomes, il semble privilégier un retrait du monde, en accompagnant, au cœur de la Mayenne et dans ses environs, une poignée d’individus en rupture avec les modes de vie, de pensée ou de croyance socialement dominants. En recueillant leurs témoignages, il s’attache cependant à mettre à l’épreuve ce concept d’autonomie et à faire apparaître une toute autre dynamique que celle de l’autarcie. Les entretiens menés évoquent des aspects prosaïques du quotidien : la propriété foncière, l’alimentation en eau et le raccordement électrique. Une fermière souligne qu’acquérir une exploitation agricole pour vivre de sa production suppose un capital de départ et donc un héritage, qu’il soit matériel (la rente nécessaire à l’achat du terrain) ou immatériel (comme l’identification des points d’eau par un ancien propriétaire et la transmission du savoir-faire). Des échanges avec d’autres familles sont nécessaires pour éduquer les enfants et diversifier l’alimentation de chacun, ce qui suppose une division du travail. Bref, on constate d’emblée que l’autonomie n’implique pas un repli sur l’individu isolé (impasse incarnée ici par un braconnier fictif, qui intervient comme contrepoint comique aux séquences documentaires) ou sur la cellule familiale autosuffisante, mais requiert au contraire une mise en réseau, des lieux nouveaux et des formes ouvertes de sociabilité. Au fond, si le titre du documentaire est au pluriel, c’est qu’il faut être plusieurs pour être autonome. Bégaudeau filme moins la seule marginalité que l’élaboration de communautés autour de choix de vie alternatifs, sur un mode mutualiste.
Le film ne se départit pourtant pas d’un attrait pour le pittoresque, en faisant la part belle (et moins didactique) aux rituels new age et aux thérapies hétérodoxes (on y croise pêle-mêle un duo de sourciers, un guérisseur aussi à l’aise pour mettre ses patients en transe que pour dilater vibratoirement la matrice d’une vache qui s’apprête à mettre bas, un mystérieux chaman…). À la dimension politique évoquée plus haut s’ajoute une perspective plus existentielle : la quête de l’autonomie est aussi la recherche d’un rapport plus harmonieux avec la nature, d’une meilleure écoute de ce qui résonne en soi (une femme explique que lorsqu’elle s’adonne au filage et que la bobine se dévide, quelque chose la travaille intérieurement). Pour en rendre compte, le film adopte un ton distancié, disons ethnographique, dans ses prises de vue, et plus caustique dans ses effets de montage. Il n’est pas anodin que le motif du rond revienne si souvent à l’image : outre qu’il est au cœur des dynamiques « autonomes » (économie circulaire, recyclage des vêtements, cycle des saisons et des cultures…), il rassemble les dimensions politiques et spirituelles du propos. Le film s’achève d’ailleurs devant une tente, où s’assemblent de jeunes hommes pour une expérience fumeuse où il semble être question de ne faire qu’un avec la terre, de rejoindre son noyau brûlant voire de s’alimenter au « feu des femmes ». Loin d’unifier ces entreprises autour d’un discours balisé (l’anar trop bavard est liquidé à mi-chemin), Autonomes les laisse coexister et se croiser comme autant de singuliers pas de côté.