Suite au succès et aux prix remportés par ses deux précédents courts métrages, qu’a fait Gérald Hustache-Mathieu pour réussir à écrire son premier long? Tout simplement se dire qu’il écrivait « un court métrage d’une heure et demie ». La formule prête à sourire, mais elle résume bien la douce simplicité, la limpidité qui se dégage d’Avril. Aussi bien du point de vue du scénario que de la mise en scène, tout le film baigne dans une sorte de poésie, de légèreté qui imprègne les instants, les visages et les paysages. Gérald Hustache-Mathieu fait déjà preuve d’un regard original, d’une vision du monde et d’une mise en scène qui font attendre avec impatience son prochain film. Avril est une jeune novice qui a été élevée dans un couvent. Alors qu’elle commence une retraite de deux semaines dans une petite chapelle, où elle fait vœu de jeûne et de silence et au terme de laquelle elle prononcera ses vœux, une sœur lui annonce qu’elle a un frère jumeau, qui a grandi quelque part et ignore tout de son existence. Avril s’échappe alors de la chapelle pour partir à sa recherche, en quête de son identité, de ses racines et de liens familiaux qui lui faisaient jusqu’à présent défaut. L’intrigue paraît banale, et il est vrai que les thèmes de la découverte des autres, de soi et du monde ne sont pas nouveaux, mais le réalisateur filme ces moments avec un regard profondément original et poétique.
Comme dans La Chatte andalouse, mettant en scène une jeune nonne qui poursuit et achève l’œuvre érotico-artistique d’une jeune femme tombée malade, le thème de l’art s’insinue dans les lignes du scénario et donne lieu à des scènes particulièrement réussies. Par exemple, lorsque Avril retrouve son frère dans un cabanon en Camargue, elle est si intimidée qu’elle n’ose se présenter à lui. Son ami vendeur de couleurs (interprété par un Nicolas Duvauchelle qu’on n’a peut-être jamais vu aussi doux et aussi charmant au cinéma), sachant que le fait d’observer longtemps l’aide à connaître et à apprivoiser ce qu’elle désire peindre, lui conseille d’aller dessiner son frère pour apprendre à le connaître. À la fin du film, c’est une magnifique scène de création collective qui renforce encore les liens entre les personnages.
Le film bénéficie ainsi de certains moments de respiration, où le temps et l’intrigue sont suspendus, instants qui feraient presque basculer le film dans le fantastique ou le surréalisme. Gérald Hustache-Mathieu reconnaît adorer les mélanges, les contrastes. Ainsi, à la manière d’un collage surréaliste, certaines scènes entremêlent différents éléments dont la rencontre crée un instantané de grâce, une suspension, un vrai beau moment de poésie cinématographique. C’est le cas pour la scène de la fresque dans la chapelle, mais aussi lorsque Avril part se baigner nue, son corps heurté par les vagues, puis qu’elle s’allonge sur la plage, découvrant la sensation du sable chaud sur son corps mouillé.
Car pour Avril, la découverte du monde passe d’abord par les sensations. Apprendre la vie, c’est apprendre à sentir, à toucher, à regarder. Gérald Hustache-Mathieu, qui se dit contemplatif, sensoriel, réussit tout à fait le pari de faire passer ces sensations à l’écran, par un travail remarquable sur les cadrages, la photographie et le son. La vie, telle que la découvre Avril, paraît si simple. Même dans la révélation du secret familial, le réalisateur ne tombe pas dans les grands effets qui auraient transformé cette petite bulle de savon qu’est Avril en bille de plomb. Bien sûr, les acteurs, tous excellents, y sont pour beaucoup, en particulier Sophie Quinton. Elle incarne une jeune fille très douce, dont la candeur et la naïveté ne tombent jamais dans le ridicule ni dans l’exagération. Elle ne sait pas que les Anglais ont leur volant de l’autre côté, elle ne connaît pas la chanson Aline, le seul alcool qu’elle connaisse est le vin de messe? Qu’importe, tout cela s’apprend. Son frère et ses amis sont là pour la guider. Avec Avril, Gérald Hustache-Mathieu nous transporte donc dans son petit univers le temps – trop court – d’un film qui nous emmène en balade puis nous redépose sur terre, rêveur et apaisé.