« T’es détective privé ? C’est super cool, je connais tout sur ces types-là : Sam Spade, Philip Marlowe… » Dans la bouche de T.J., gosse des rues rencontré par Matt Scudder, la vie de privé est une vie de fantasme. Seulement voilà, Matt Scudder déroge à la règle : il est aux alcooliques anonymes, n’a pas de licence, ne rechigne pas plus que ça à passer du mauvais côté de la loi… Bonjour la figure héroïque. Habitué des rôles de héros d’action monolithiques, Liam Neeson enfile le manteau de privé comme une vieille pelisse fatiguée. Son personnage semble lui-même prisonnier de clichés narratifs, tout autant que d’idéaux depuis longtemps remisés sous le tapis. Neeson l’incarne avec justesse, comme un mort-vivant lassé, dont la seule réelle motivation pour continuer son job serait une habitude mécanique dont il serait impossible de se défaire.
Quelque part entre les ombres
Face à lui, New York déroule sa liste de personnages lovés dans les ombres : du gamin brillant et voleur aux dealers pourris mais capables d’empathie, en passant par les flics narquois et supérieurs, personne n’est ni glorifié, ni condamné. L’intrigue elle-même oppose Scudder à des assassins absurdes, dont les motivations resteront dans le flou. Balade entre les tombes s’intéresse plus à ses personnages qu’à son intrigue, captant des lueurs de passion disparates dans des yeux lassés, que ne semble même plus indigner l’ignoble.
Respectant une logique narrative attendue – le film raconte une enquête somme toute assez traditionnelle –, Balade entre les tombes ne propose pourtant pas de climax narratif, se concentrant sur les à-côtés de son histoire. Ce faisant, il construit une galerie humaine crédible, empreinte de mélancolie, qui trouve une place tout à fait légitime dans le monde du film noir. Balade entre les tombes prend des chemins détournés – c’est une balade, après tout – mais trouve finalement la voie vers le cœur sensible du noir.