Yuko, une jeune femme de retour chez ses parents après avoir été kidnappée dans un pays du Moyen-Orient où elle œuvrait comme bénévole, doit faire face à un licenciement quasi abusif, au mépris plus ou moins voilé des amis et des commerçants du quartier, à une rupture amoureuse, aux coups de téléphone anonymes et même aux agressions physiques. Ses parents, eux, font face aux critiques de leurs collègues de travail pour l’éducation donnée à leur fille, et son père est même poussé à la démission. C’est d’un troublant corollaire du conflit irakien déclenché en 2003 par les États-Unis que le film de Masahiro Kobayashi tire son sujet : un symptôme effarant d’une société encline au conformisme rigide. Bashing s’inspire de l’expérience réelle de bénévoles japonais envoyés en Irak et qui, après avoir été kidnappés, puis libérés et ramenés chez eux, ont dû paradoxalement affronter la réprobation du gouvernement et le rejet de la société. Eux et leurs proches ont souffert simplement pour avoir, par leur engagement à l’étranger et les dangers s’y rapportant, attiré une attention non désirée sur leur pays et mis en difficulté leur gouvernement.
« Observation relativement stérile des faits et des comportements »
Le sujet en lui-même, et le spectacle d’une personne innocente traitée en paria dans une société supposée moderne et libérale, sont percutants et aptes à secouer le spectateur du Japon ou d’ailleurs. Le film rend-il justice à ce sujet ? Autour de ce calvaire que Kobayashi compte retranscrire de la manière la plus réaliste possible, les choix de mise en scène de ce dernier se dessinent assez rapidement, empruntant en grande partie au cinéma documentaire : plans-séquences tournés caméra à l’épaule, absence totale de musique, la plupart des conversations filmées en pivotant autour des interlocuteurs comme pour en saisir tous les détails sans recourir aux raccords, mettant le spectateur dans une position de témoin. On peut néanmoins se demander s’il s’agit ici de rendre au mieux le réalisme des scènes ou simplement de figurer l’instabilité de la situation de Yuko et de ses proches, ce qui serait un procédé assez convenu. Car a contrario, les scènes les plus intimes (Yuko seule) ou celles où l’héroïne est le moins menacée (les conversations entre Yuko et ses parents) sont filmées en de longs plans au cadre fixe et au découpage plus classique.
D’une manière générale, le film souffre un peu de ce systématisme que Kobayashi impose à une mise en scène d’inspiration finalement limitée. Les scènes de conversations humiliantes (la blessure morale de Yuko souvent signifiée par un travelling avant sur son visage) de violences physiques et morales, de retours pénibles à la maison, de solitude silencieuse se succèdent, et les procédés de filmage se répètent de façon mécanique, comme si le réalisateur restait arrimé à un dispositif plus qu’il ne met en scène avec une réelle conscience de son sujet. Cet effet de répétition est certes efficace, bien qu’assez appuyé, pour figurer le calvaire renouvelé de Yuko et son repli sur elle-même, mais il peine à donner une perspective plus étendue à un sujet qui, pourtant, pouvait s’y prêter. On en reste à une observation relativement stérile des faits et des comportements, même si l’aperçu que le film nous donne d’une société japonaise policée et de sa réticence à s’impliquer hors de ses frontières reste intéressant par lui-même. On sent par moments que le cinéaste cherche par sa mise en scène à soutirer des choses plus abstraites de ce qu’il filme (voir Yuko montant l’escalier de son immeuble plusieurs fois dans le film, mais jamais de la même façon ni dans les mêmes conditions), mais ce travail reste timide et isolé au milieu de son dispositif.
« Une réelle force tragique »
Les motivations des personnages centraux (l’altruisme de Yuko et son désir d’ailleurs, l’attitude compréhensive de son père, le mal-être de sa belle-mère) pourraient donner du relief au propos du cinéaste en élevant ces derniers au-delà de simples figures de l’innocence réprimée. Seulement, ces éléments sont surtout explicités par des dialogues, et même si les interprètes sont par ailleurs plutôt bons, on peut regretter que Kobayashi n’ait pas opté pour une solution cinématographique plus inventive pour rendre la pleine dimension de ses personnages. Celui de Yuko, qui la plupart du temps ne fait qu’endurer son sort et se réfugier dans la solitude (avant de prendre à la fin une décision radicale, motivée par la lucidité ou le désespoir, on ne sait trop), acquiert néanmoins une réelle force tragique lorsque ses efforts pour se protéger du mépris ambiant par l’isolement restent vains (voir sa rupture avec son petit ami).
L’approche documentaire conserve la sécheresse du sujet, et la fermeté du personnage principal lui donne un peu plus de chair. Malgré cela, faute d’une plus grande prise de risque cinématographique, le film a à peine plus d’impact qu’un bon reportage télévisé. Bashing laisse l’impression d’une occasion manquée de livrer un film d’une plus grande force politique et sociale.