Passivité et statisme semblent avoir été les mots d’ordre pour la réalisation de Beautiful Valley, première fiction de la cinéaste israélienne, Hadar Friedlich. Alors que le film peut se targuer d’un propos fort – la façon dont les personnes âgées sont mises au ban de la société –, il est largement desservi par sa mise en scène qui impose une certaine léthargie dans la description de cette réalité.
Au sein d’un kibboutz, Hanna, 80 ans, est invitée par ses pairs de manière plutôt brutale à se retirer de la vie active et à prendre sa retraite. En raison de son âge avancé, et ceci malgré sa bonne forme physique, elle ne répond plus aux standards de rentabilité et aux nouvelles normes de travail. Alors qu’elle s’était elle-même impliquée dans la création de ce lieu, elle se voit rejetée par les siens au moment de la privatisation du kibboutz, présentée comme la seule issue pour le sauver de la ruine. En prenant le kibboutz comme microcosme d’une société subordonnée à des impératifs économiques, le film fait d’Hanna un archétype de la personne considérée comme inutile. Le récit de cette éviction, certes pas inintéressant, souffre d’un manque d’énergie et de mouvement qui fait de Beautiful Valley le constat amer d’une déchéance inévitable.
La passivité et le statisme s’expriment en premier lieu dans le choix du plan fixe. Ce procédé, qui prévaut pour presque toutes les séquences, ne trouve pas dans l’économie générale du film sa véritable justification. Hanna, à la silhouette pesante et au visage inexpressif, se meut lentement au sein des plans et accuse les coups : elle n’a plus le droit de prendre part au travail (la raison officielle étant qu’elle n’est plus assurée), elle est poussée gentiment vers la maison de retraite (sorte de mouroir débilitant où croupissent les vieux) et n’est même plus conviée aux grands événements fédérateurs de la communauté tels que les mariages. Mais Hanna ne réagit pas. Elle proteste mollement et continue ses déplacements à vélo, passant d’un coup dur à une humiliation. Le plan fixe, comme principe, vient alors accentuer une certaine lourdeur passive et surtout une inéluctabilité des faits. Ainsi, le film place le spectateur dans une position d’impuissance, lui imposant une vision statique de ces saynètes où se joue la déliquescence d’une utopie et la chute de ses valeurs fondatrices. Cette fixité empêche le film d’évoluer vers d’autres possibles qui seraient de nouvelles formes de résistance face au modèle imposé (la privatisation du kibboutz en l’occurrence).
Si par la description du présent, le film préfigure un avenir très sombre, il ne s’épargne pas le rabâchage du passé à travers les images d’archives : des témoignages filmés de pionniers du kibboutz. Ce qui aurait permis de créer une dialectique entre le projet initial et la situation actuelle ne fait qu’ajouter une énième chape de plomb sur la situation, serinant le fameux refrain : « c’était mieux avant ». Toujours au niveau des redites, le film comprend dans sa monstration une littéralité malheureuse à travers des métaphores visuelles qui ne caractérisent pas le récit mais qui le rendent redondant. Par exemple, le réfectoire, lieu communautaire par excellence, qui prend l’eau par le toit ; le travail que l’on arrache des mains d’Hanna alors qu’elle propose son aide pour charger du bois ; ou encore son jardin secret qu’on l’empêche de cultiver en fermant à clef les grilles du hangar où elle a l’habitude de se rendre la nuit, à l’insu de tous, pour soigner ses plantes.
Par son sujet, Beautiful Valley s’inscrit dans une nouvelle tendance du cinéma israélien de fiction, recentré sur des problématiques internes et moins tourné vers une menace extérieure, qui évoque la fracture au sein de la société en assumant ses failles et ses carences à l’instar de Le Policier (Nadav Lapid, 2011), un exemple prégnant. Cette mouvance insuffle une énergie due non seulement aux choix des thèmes mais également à la vivacité de la narration dans un but de riposte, de revendication et de résistance. Quant à Beautiful Valley, même si son sujet tend à la dénonciation d’une certaine réalité sociale, il contraste hélas par le manque de vigueur et l’aspect misérabiliste imposés par les choix de mise en scène.