Huit ans après 100% arabica, le réalisateur Mahmoud Zemmouri sort Beur blanc rouge, production franco-algérienne dans laquelle les couleurs du drapeau tricolore se teintent d’un malaise identitaire. Avec un film qui devait initialement s’intituler Beur et Margarine et où l’on retiendra le jeu plus homonymique que charmant entre « beur » et « beurre », il ne fallait sans doute pas s’attendre à de l’allégé. Et même si vous cherchiez en Beur blanc rouge une bonne comédie populaire, vous risquez fort d’être désemparé. Le comique est broyé par l’avalanche de clichés. Au menu de l’intégration, vous avez le choix entre le loukoum pâteux et la galette insipide. Un film dont la farce finit par nous paraître franchement plus gonflante que gonflée.
En ces temps de troubles identitaires et de révoltes urbaines, on y croit très fort : le rire se doit d’être un bon antidote. Lorsque l’on aborde l’éternelle et périlleuse question de la crise d’identité de jeunes issus de l’immigration, n’y a‑t-il rien de plus alléchant qu’une comédie ? Car le parti pris d’en rire peut être une intention bienvenue et louable. Encore faut-il en maîtriser les rouages et les mécanismes. Avec subtilité.
Brahim, Mouloud et Gaby vivent à Belleville. Sans diplôme, Brahim vit aux crochets de ses parents, des immigrés de la première génération. Le corps de Brahim est parisien, son cœur est algérien. En octobre 2001, sur le stade de France, deux équipes de foot se préparent à l’affrontement : le match France-Algérie vient perturber le quotidien du jeune homme et réveiller en lui une crise identitaire profondément ancrée. Le jeune flambeur aux allures de play-boy et à l’air faussement assuré, qui vit de petites combines et de gros mensonges, revendique désormais ses origines maghrébines, et édifie dans son esprit une vision idéalisée de l’Algérie, favorisée par le nationalisme aveugle des parents. Brahim résistera-t-il à l’appel du bled ?
Amélie est à Montmartre ce que Brahim est à Belleville. Car Trois couleurs : Beur (renommons une énième fois le film) pourrait bien ressembler à une parodie du Paris d’Amélie Poulain plantée à Belleville et montée à la sauce raï. Sauf qu’avec Brahim, on se situe moins dans le domaine de la comédie populaire que dans celui de la caricature : et par conséquent, le rire est forcément forcé. Brahim s’entoure de personnages secondaires trop rapidement croqués. La liste est longue et laisse le choix entre l’épicier intégriste, la copine studieuse, le pote plombier, le cousin plein aux as, les beaux-parents tradi, le marieur cynique, sans compter un joli catalogue de jeunes vierges, extirpées du bled et prêtes à l’emploi.
À partir d’un sujet brûlant, dangereux mais passionnant, Mahmoud Zemmouri se fourvoie et s’engonce dans un manichéisme douteux. Le comique est lourd, les situations frisent le grotesque : Brahim confond Socrate le philosophe et Socrates le joueur de foot brésilien. Comparativement, il va sans dire que AB productions faisait, il y a quelques années, de la broderie anglaise. Du gag à gogo il y en a, mais de la finesse point. Et l’on est agacé par les champs-contrechamps d’un tête-à-tête au resto entre le jeune homme et sa dulcinée, les plans métaphoriques d’un poteau entouré de fils barbelés, la descente de la bande le soir sur les Champs. Lorsque le cinéaste pressent qu’une heure trente de bouffonnerie pure et dure risque fort de tuer et l’intention ironique et le sens de l’auto-dérision que l’on veut bien prêter à l’origine du projet, le film bascule. Le tragique (les conséquences du match, l’invasion du terrain par les supporters, le décès de la grand-mère) prend le dessus et la tension s’effondre, les ressorts dramatiques ne fonctionnant pas, tant le film est alourdi par le poids des stéréotypes. À force de jongler avec les clichés, on finit forcément par stigmatiser. La question de l’intégration et les rapports complexes entre la France et l’Algérie ne seraient-ils qu’un prétexte, pire l’argument de promotion d’un film qui, en fin de compte, surfe sur la vague très mode d’un cinéma de comiques issus de l’immigration ? On aurait souhaité voir plus de cinéma dans ce qui se réduit à une série de scénettes comiques dans le pur esprit des telenovelas. Et l’on préfère de loin un film comme celui de Nadir Moknèche Viva Ladjérie ou la démarche documentaire de Yamina Benguigui. Même la présence inopinée et lumineuse de Biyouna ne sauve pas le film. Une dernière question : les djeunes vont-ils se reconnaître dans ce grossier portrait d’une France multicolore ? Les mots nous manquent. Un rire forcé vaut bien un silence consterné.