Le nord de l’Italie aurait tout et le sud rien ? Erreur, les terres du sud, notamment la Campanie, possèdent ce que n’a pas le nord : les déchets, que la mafia Camorra fait transiter des riches régions qui n’en veulent pas à celles qui n’ont pas les moyens de refuser le don. Zone très fertile, la Campanie est devenue une véritable poubelle nationale. Des rapports d’étude sont en cours depuis des années, des projets de lois végètent dans les tiroirs. Réagissant à l’immobilisme, la corruption, l’indifférence dont est victime la campagne napolitaine, les réalisateurs de Biùtiful Cauntri ont étudié les rapports de Legambiente, association a politique environnementale, et donné la parole aux personnes directement concernées. Sans intervention des cinéastes ni excès de sensationnalisme, ce documentaire fait prendre conscience d’une situation alarmante. Dommage cependant que le constat reste local, que ne soit pas davantage souligné le lien entre la toxicité de la terre napolitaine et ce qui atterrit dans nos assiettes.
Raffaele Del Giudice est éducateur environnemental : responsable de Legambiente, il se bat contre les écomafias et les décharges abusives. C’est lui qui nous guide à travers les zones meurtries, les tas d’amiante pourrissant dans les bois, les déchets de dioxine au bord des routes, les milliers de bidons rouillés remplis d’arsenic, en attente d’être incinérés… Ces images d’ordures donnent la nausée, celles d’animaux à l’agonie aussi. Les cinéastes donnent aussi la parole aux autochtones, qui pendant 130 heures de rushes, se sont montrés très disponibles pour participer au documentaire, ultime espoir de faire entendre leur peur et leur colère. Une éleveuse de brebis, vivant dans une caravane sur un terrain vague près d’une usine, explique comment sa famille a attendu un an avant de recevoir les résultats d’analyses de son troupeau, qui s’est révélé contaminé. Dans l’attente, pour ne pas rajouter aux 15 000 euros de dettes pour les achats alimentaires, la famille a continué à manger ses bêtes et à les vendre. Que faire quand ce sont des coups de feu qui répondent à une protestation ? Quand il faut choisir entre le chômage et le travail suicidaire dans une décharge toxique ? Parce que ce sont les puissants qui gèrent ce trafic illégal de déchets, la population se tait.
Raffaele Del Giudice, lui, ne cesse de crier sa colère. Né dans la région, il a bien étudié les dossiers et cerne le fonctionnement des trafics. C’est avec assurance qu’il demande rhétoriquement pourquoi ce sont des militaires qui surveillent des décharges censées être légales, pourquoi ils refusent d’être filmés. Qu’il hurle de rage en découvrant dans cette décharge un immonde puits de 200 m², que dans la classification mondiale des zones à risques, la Campanie n’apparaît même pas. Privée de bon réseau de transport, de théâtre, bibliothèque, cinéma…, d’une saine autorité politique, cette région est vouée à la mort. Pire que l’indifférence est la volonté politique de la sacrifier. L’éducateur environnemental a enregistré des conversations téléphoniques où des dirigeants du nord organisent les dépôts meurtriers, donnant par exemple ordre d’attendre que les élections soient passées pour décharger telle seconde vague de pneus… Lorsqu’ils évoquent un éventuel démasquage, leur calme cynique d’omnipotents effraie (« ces journalistes, ils exagèrent tout le temps »).
La fin du documentaire est assez saisissante : après les images d’une procession où des notables, sans doute membres de la Camorra, chantent Dieu avec la foule dévote, des cartons apprennent qu’en 2007, l’Italie a été condamnée par l’Europe pour avoir laissé 4866 décharges sauvages, et que tout dossier en cours pourrait bien le demeurer indéfiniment. Biùtiful Cauntri est efficace, il sensibilise au problème qu’il dénonce. Problème qui reste cependant un peu trop cantonné à la Campanie et ses déchets. Les conséquences d’un tel désastre auraient pu être davantage évoquées : les modifications génétiques sur le long terme et le fait que ce qui pousse aux environ de Naples est exporté dans le monde entier, nous concerne donc directement.