Face à ce portrait de mineur victime d’un engrenage judiciaire, on pense évidemment à Gus Van Sant – versant éphèbes blessés et désillusion adolescente. Blackbird nous entraîne sur les traces d’un jeune gothique canadien, Sean, tout juste arrêté par la police pour avoir fantasmé sur la toile le massacre de ses camarades de classe. Peu engageant dans sa première demi-heure, le film menace de s’enfermer dans une structure périlleuse : on alterne entre présent et passé, interrogatoires policiers et souvenirs naturalistes, avec la crainte de voir le récit se perdre dans ce travail de circonvolutions et de mise à plat. Mais heureusement, le Rashômon gusvansantien tant redouté n’aura pas lieu.
Abandonnant sur le bord du chemin la mauvaise idée qui lui tendait les bras, Jason Buxton opère le rétrogradage de sa machine scénaristique et ouvre sa mise en scène à une écriture dont le trait net, bref, presque simpliste, conférera à l’ensemble une respiration au calme judicieux. Rasant de près la caricature mais jamais édifiant, Blackbird est un film appliqué et sans esbroufe, attentif à ses lieux et à ses personnages. Il profite d’avancer sur des sentiers battus et rebattus pour les arpenter de plain-pied, gagnant à mesure qu’il prend confiance en son récit une belle force de concision. En ce sens, l’arrivée du héros dans le centre de délinquance est exemplaire : la fouille corporelle, passage obligé du genre, est ici abrégée en un seul plan, dénuée de tout symbolisme, réduite à une compulsion accélérée des parties du corps. Le registre de ses moyens est peut-être étroit, mais il faut reconnaître à Buxton un vrai sens de l’ellipse et de la progression psychologique, une manière de toujours faire comprendre les choses sans jamais rien n’illustrer lourdement. Il est bien aidé en cela par son jeune interprète, Connor Jessup, dont le jeu franc et direct, au diapason de cette rondeur narrative, sait se dispenser de toute tentation de volontarisme pour se reposer sur quelques détails élémentaires : voir son style vestimentaire – d’abord tranchant, sombre, anguleux – finir de se dissoudre dans la morosité ambiante de cette banlieue canadienne.
S’être trop fait remarquer, devoir se faire discret, ne pas disparaître. Il s’agit avant tout de cela dans Blackbird ; et sur ce point, le personnage et la mise en scène profitent d’une belle complicité. C’est une sorte d’entente harmonieuse, de communion bienveillante, qui concède au premier la possibilité de réinvestir positivement son destin et offre à la seconde un programme narratif plus subtil que prévu. Buxton élague ainsi son imbroglio de cinéma indépendant (péri-urbain mou, famille éclatée, crise d’adolescence) pour se concentrer sur une trajectoire linéaire mais flottante, sans réel point de basculement. Une trajectoire qui, partie des dysfonctionnements institutionnelles (école, justice, prison), ira progressivement se réconcilier dans l’intime (« moi », famille, couple). De la sorte, c’est peu à peu que le film, d’une remarquable égalité de ton, nous livre le vrai enjeu de son personnage : trouver, au sein d’une communauté nord-américaine hostile et crispée, une meuf, un pote et un père. Devenir un homme.