Sorti un an après la mort de Robin Williams aux États-Unis et enfin distribué en France, Boulevard relève cette tâche ardue d’être l’un des derniers films de l’acteur. Difficile en effet de ne pas penser au suicide du comédien tant la triste langueur de son personnage sert de pierre angulaire au film.
Jeu de dominos
Nolan, petit banquier d’une middle town bourgeoise, partage son temps entre son bureau et son foyer. Là Joy (Kathy Baker), son épouse, décide de tout, comble les silences et fait survivre ce qu’il reste de leur vie conjugale. Réservé, renfermé, Nolan cache un lourd secret, une attirance pour les hommes qu’il n’assume pas et un terrible mal-être, celui de tenir le rôle d’hétéro épanoui. Mais au détour d’un boulevard, alors qu’il manque d’écraser Leo, un jeune prostitué (Roberto Aguire), une étrange relation se noue entre les deux, entre désir charnel et attachement sentimental. Pris dans la tourmente d’émotions qui le dépassent, Nolan va devoir embrasser son destin trop longtemps contrarié.
Tranche de vie où tout bascule, Boulevard empile les séquences attendues d’un film catastrophe, étymologiquement parlant. En effet, les péripéties s’y succèdent en mode métronomique. Après la rencontre viennent les mensonges de l’adultère, les rencontres dans des motels louches et les problèmes liés aux fréquentations de Leo. Le vieux cadre à la vie bien rangée est propulsé dans une histoire d’amour à sens unique, provoquant malgré lui l’implosion attendue de son couple.
D’une domination à l’autre
Le film, au cheminement très classique, ne joue jamais la carte de la surprise, trop occupé à observer le jeu tout en retrait de son acteur. Et là réside sans doute l’intérêt majeur de Boulevard. En composant un homme travaillé par des désirs qui le dépassent, mari soumis et farouche, Robin Williams excelle. Tout en retenue, sans en avoir l’air, Williams peint à petites touches le portrait d’un être prisonnier de lui-même, des normes qu’il n’ose défier et d’une éducation qu’on imagine réfractaire à toute forme de libertarisme. En cela, les scènes où Nolan est au chevet de son père mourant glacent les sangs. Aucune émotion n’y transparaît, l’amour filial y semble une suite de gestes préétablis, comme un rituel qu’on consent à suivre sans y prendre véritablement part. Le motif du détachement, tant parental que conjugal, rythme ainsi le film, mettant en scène un ersatz de vie, mimée mais jamais pleinement assumée. Le traitement du basculement du personnage dans une sexualité illicite pour lui trouve alors un écho non dénué d’intérêt. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une franche opposition entre les scènes domestiques et adultérines, elles s’avèrent pourtant façonnées par la même psychologie. La soumission de Nolan vis-à-vis de sa femme fait place à sa dépendance affective pour Leo, transfigurant finalement la figure de domination sans la remettre en cause. Malgré une fin quelque peu précipitée, qui prend à rebrousse-poil cette indolence naturelle qu’on pensait inaltérable, Boulevard démontre que la partition de Williams pouvait amplement dépasser le cadre de la comédie. Rien que pour cela, le film mérite qu’on y prête attention.