Pour sa chronique d’une fin de l’enfance, Pablo José Meza passe au format adulte, le long-métrage. Avec Buenos Aires 100 km, il participe aussi à l’âge florissant du cinéma argentin sur nos écrans.
Au milieu de nulle part en Argentine, des gamins de treize ans traînent dans la chaleur de l’été qui décline. Il y a Esteban, qui s’ennuie sur ses dessins industriels, Guido qui se fait exploiter par son père, Alejo à qui tout le monde cache les écarts conjugaux de sa mère, Damian qui apprend qu’il a été adopté, et Matias qui dort souvent dehors. Dans ce village, huis clos poisseux où croupissent les ragots, chacun fait son apprentissage.
Visiblement inspiré par François Truffaut et Yves Robert (un exemplaire de La Guerre des boutons apparaît subrepticement sous les planches d’Esteban), Pablo José Meza nous offre un premier film attachant, qui trouve son écho dans l’enfance de chaque spectateur. Que pouvait-on bien faire avec ses amis, avant de connaître les interminables discussions autour de tournées générales ? Avec tendresse, le réalisateur nous remémore la fabrication de bombes à eau, la rivalité avec les « grands », et les matchs de foot passionnés et fougueux.
Son style innocent, presque naïf, colle parfaitement à cette époque de fortes émotions où les chagrins s’envolent vite et où l’enthousiasme gagne toujours à la fin. Le passage en narration subjective, même si le procédé est un peu candide, est cohérent avec le propos, puisqu’il permet de coller, non sans humour, aux impressions de chaque gamin. Ainsi la scène de la boum où, situation délicate s’il en est, les filles et les garçons se font face, chaque camp retranché sur son banc, sans oser s’aborder. L’un s’avance, téméraire, et son initiative se solde par un mouvement soudain de toutes les têtes féminines dans sa direction, souligné par un bruitage hyperbolique style dessin animé. De même, les différentes intrigues qu’Esteban imagine pour son roman sont retranscrites sur l’écran, plus rocambolesques les unes que les autres.
Mais si les longs plans de fin sur les lieux de l’action, désormais déserts, traduisent cette nostalgie liée à toutes les fins d’été du monde, le film de Pablo José Meza n’est pas pour autant angélique. Au travers du parcours initiatique de ses personnages, il pose les problématiques du chômage, du déficit de modèles, de la démission de l’État, de l’éclatement de la famille. La vie est féroce, et peut-être encore davantage dans ce coin perdu d’Argentine. La mère de Matias refuse de lui ouvrir sa porte le soir, pour une raison non révélée, qui force le sentiment d’injustice. Guido balance entre crâner à propos du beau camion de son père, signe de réussite sociale, et l’envie d’en crever un pneu à la va-vite. Des billets de banque qui circulent au village, beaucoup sont faux.
Ainsi, Buenos Aires 100 km se trouve dans la lignée d’un cinéma argentin, et plus largement sud-américain, volontiers enclin à traiter les thèmes de la famille, de l’amitié, du voyage, de l’incertitude face à l’avenir. Dans La Ciénaga (Lucrecia Martel, 2001, Argentine), c’étaient les rapports troubles et dérangeants de deux familles désœuvrées pendant l’été. Dans Whisky (Juan Pablo Rebella, 2004, Uruguay), un mensonge construit de toutes pièces pour leurrer un frère. Voyage en famille (Pablo Trapero, 2004, Argentine), plus léger, était un road-movie en camping-car afin d’assister à un mariage, tandis que récemment Nordeste (Juan Diego Solanas, 2005, Argentine) emmenait une Française en Argentine pour trouver un fils. Enfin 25 Watts (Juan Pablo Rebella, 2001, Uruguay) narrait l’ennui de trois copains à Montevideo tandis que Mon ami Machuca (Andrés Wood, 2004, Chili) contait une amitié au-delà des frontières sociales en plein coup d’état. Est-ce parce que tous ces réalisateurs ont connu la dictature militaire et de graves crises économiques ? Toujours est-il que la vivacité de ce cinéma d’ailleurs, quand il offre des œuvres profondes et fraîches, est à célébrer.