Suivant les pas d’Alejandro Amenábar, le cinéma de genre espagnol garde majoritairement le regard rivé sur les modèles hollywoodiens dont il tente de reproduire au mieux l’efficacité, avec plus ou moins d’habileté. À l’instar du réalisateur des Autres, le nouveau venu Rodrigo Cortés fait même venir Hollywood chez lui, avec cette coproduction hispano-américaine avec star (Ryan Reynolds) entièrement tournée à Barcelone.
Quand le huis clos a des envies d’évasion
Les thrillers en huis clos, avec leur promesse de tension insoutenable et jouissive dans un décor réduit et autour d’une question simple (« comment sortir ?»), ont toujours su se faire précéder d’un buzz conséquent. Buried, bon élève déjà encensé, ne fait pas exception avec ses bases trompeusement minimalistes : un homme, un cercueil, une heure trente pour en sortir, un briquet et un téléphone mobile pour seuls outils et quelques coups de théâtre à prévoir. Trompeusement, forcément, ne serait-ce que pour les quelques dizaines de cercueils utilisés pour le film, en fonction des plans à tourner — la promo qui nous vend la simplicité diabolique des éléments du spectacle en omet consciencieusement un, indispensable et loin d’être techniquement élémentaire, lui : la caméra qui, tel un mouchard infiltré dans l’espace clos de fiction, tiendra compagnie au personnage enfermé et se chargera de faire de ce confinement une matière de cinéma. C’est que ce genre de film tient pour beaucoup de l’exercice de style, où l’enjeu cinématographique principal reste de savoir comment le découpage de la mise en scène va tirer son épingle du jeu : d’une part de la restriction de l’espace et de la visibilité ; d’autre part des réactions de moins en moins contrôlées, de plus en plus primitives, du corps et de l’esprit humains ainsi claustrés.
Rodrigo Cortés n’est pas le moins appliqué à ce petit jeu, ne serait-ce que par sa volonté de ne pas transiger avec le postulat du huis clos. Là où d’autres avant lui n’ont pas résisté à l’envie d’aérer le récit en insérant de dispensables scènes de « l’extérieur » (une pensée fugace pour Phone Game qui, censé jouer le huis clos total dans sa cabine téléphonique, ne pouvait pas s’empêcher d’inclure quelques plans de l’épouse navrée du héros cloîtré loin de chez lui), l’Espagnol se garde bien de filmer ailleurs que dans son cercueil, avec le quidam Reynolds pour seul personnage visible, les autres personnages restant dans le hors-champ incertain délimité par le seul téléphone qui n’en révèle que les voix. Cortés s’applique donc à respecter les règles du jeu et à transmettre intégralement au public le spectacle de l’enfermement. Néanmoins, il ne peut pas se retenir de signifier, par moments, à quel point il s’y sent lui-même à l’étroit. Si le classicisme du montage carré et des gros plans sur les efforts d’un Reynolds claustrophobe s’avèrent toujours efficaces, si Cortés arrive à peu près à maintenir l’attention et l’attente du spectateur jusqu’à la dernière seconde, il apparaît vite que sa mise en scène s’efforce moins d’accomplir son œuvre de thriller — encore moins de faire passer d’autres choses à travers la peur cinématographiquement instillée — que d’étaler les ressources avec lesquelles il peut le faire, quitte à montrer que les frontières auto-imposées ne comptent pas tellement, au fond. Le spectacle de Buried consiste, pour une partie non négligeable, à observer comment l’espace réduit d’un cercueil n’empêche nullement le réalisateur de savoir faire des zooms avant/arrière et des travellings, de jouer de la photographie en passant en revue les filtres de couleurs, de flirter avec les limites spatiales en filmant à travers les planches, voire de les nier momentanément dans un bel effet d’allongement de profondeur qui aurait intéressé un Hitchcock parfois friand de ce genre de truc… Sans que tous ces effets n’expriment autre chose que le plaisir solitaire qu’a éprouvé le réalisateur à les déballer. Il y a à l’œuvre une entreprise de démonstration plutôt gratuite (à l’adresse des chasseurs de têtes hollywoodiens, sans doute) qui empêche Buried d’être plus qu’un sympathique exercice de style ; et ce que ce huis clos raconte avant tout, c’est le savoir-faire de celui qui le fait jouer.
Parler aux murs
On s’en doute, ce versant du film est plus polluant qu’intéressant — et c’est plutôt dommage, parce que l’exercice du huis clos trouve ici un prolongement intéressant : de quoi sortir du strict cadre du genre, raconter une histoire corollaire un peu plus profonde, exprimer des idées plus sérieuses. Peu de chose à voir avec l’évocation, une fois de plus vidée de son sens entre les mains des studios, de la présence américaine en Irak, à laquelle le scénario relie cette mésaventure (ne serait-ce que parce que l’accent irakien du tortionnaire de notre héros est trop caricatural pour être décemment pris au sérieux…). Non, le plus malin et intéressant du film reste l’utilisation du téléphone portable. Seule chance de salut du prisonnier, son usage semble, dans les faits, ironiquement voué à renforcer la solitude et l’enfermement de ce dernier : ceux qu’il appelle sont soit obstinément absents, soit hostiles, soit — les pires ? — fuyant devant les responsabilités avérées. Ainsi, au-delà des cloisons matérielles du cercueil, se dessine hors champ une autre frontière, plus abstraite, celle tracée par l’impossibilité de communiquer franchement une détresse qui ne sera reçue que par des gens (ravisseur, agents fédéraux, experts) dont le business est soit de l’exploiter, soit de l’étouffer. Face à ce mur invisible mais audible, on en vient à se dire que ces six cloisons de bois éclairées au briquet ne sont pas ce qu’il y a de plus oppressant dans ce calvaire… Le réalisateur laisse le récit mettre en évidence ce phénomène, et c’est tout à son honneur ; mais on voit bien, et on peut regretter, qu’il ne s’y intéresse finalement que de loin, sauf lorsque ces échanges faussés doivent justifier la pirouette choc des dernières secondes du film qui ne feront que confirmer, précisément, cette hypocrisie déjà familière. C’est un peu gâché.