Les héroïnes se sont rencontrées à l’adolescence dans un hôpital psychiatrique ; elles se sont aimées, elle se sont déchirées, aujourd’hui elles se retrouvent. Des années 1980 à nos jours, elles restent arrimées à leurs archétypes respectifs : la blonde bourgeoise (Emmanuelle Béart), qui aujourd’hui travaille à la télé et entretient une union très libre avec un aspirant écrivain (pauvre Pascal Greggory), et la brune punk (Béatrice Dalle), asociale et libre.
On aimerait y croire un peu, à cette histoire d’amour contrarié et subversif, malgré le gros cliché du conflit entre rapport amoureux et rapport de classe. Difficile, cependant, quand la réalisatrice Virginie Despentes – qui adapte pourtant ici un de ses propres romans – ne fait guère mine d’y croire elle-même. Dans sa mise en scène sans élans ni envie, sa fade alternance de métronome entre passé et présent, ses dialogues toujours trop écrits, celle qui a coréalisé en 2000, avec Coralie Trinh Thi, le sulfureux Baise-moi (une autre adaptation d’elle-même) semble s’être convertie de l’émulation d’« underground » à un avatar braillard de la triste « qualité française » – un objet académique que ses saillies satiriques et provocatrices ne font que rendre plus creux et vain, qu’elle caricature les bobos, fasse parler « trash » une ado en blouson noir ou montre Béart collant des bourre-pif. L’amour saphique, le carcan social, la fatuité bourgeoise, le rapport aux idéaux, Despentes regarde tout cela avec l’œil distant et dépassionné de celle qui ne va chercher les signes extérieur de rébellion que parce que cela donne du peps à l’histoire qu’elle raconte machinalement. Le seul indice d’une quelconque envie habitant son film réside dans le juke-box de bon goût qu’elle fait tourner en guise de bande-son : Parabellum, Bérurier Noir, Babyshambles… Voilà, ce qui reste de la « punk attitude », dans ce qu’elle en fait ici, c’est le bon son. Maigres restes.
Subversion de salon
Admirateurs et détracteurs de l’œuvre littéraire de Despentes ont été quelque peu décontenancés par ses derniers livres. D’aucuns ont trouvé, avec plus ou moins de satisfaction selon le camp initialement choisi, que l’autrice étiquetée « trash » et « rebelle » de Baise-moi et des Chiennes savantes s’était assagie, embourgeoisée, était rentrée dans le rang. Pour ceux qui n’ont rien lu de ses livres, mais qui ont vu le film Baise-moi, le constat au vu de ce deuxième long métrage de fiction est à peu près le même.
Ce n’est tout de même pas une raison pour confondre le premier film avec le brûlot révolté qu’il rêvait d’être. On se souvient de ce Baise-moi, de son tandem de croisées contre le mâle campées par deux actrices porno en sédition, du scandale de ses scènes de sexe non simulées, de la mobilisation des artistes qui parvint à faire infléchir le classement X qui lui était destiné en « simple » interdiction aux moins de 18 ans — et donc du débat salutaire qu’il a soulevé à son corps défendant sur la pertinence de la forme de censure appelée « classification des films ». Néanmoins, on se souvient aussi de la vacuité bruyante de sa proposition, de l’hystérie démonstrative à laquelle tournait sa volonté de jouer au sale gosse urinant sur les conventions (mêlant postiches de cinéma « mal fait » et effets de cinéma cherchant la bonne facture), de ses mimiques désolantes de films de genre et de commentaires sociaux, de ses dialogues d’adaptation mal digérée trahissant par endroits leur sur-écriture. Le fracas du cul et du gore, de l’imagerie pornographique souillée, roulée en boule et vomie à la face du spectateur, ne dissipait pas l’idée que toute cette agitation relevait plus d’une pose parfois embarrassée que d’une révolte spontanée.
À cet égard, Bye Bye Blondie, plus léché, apparaît paradoxalement comme plus honnête envers son autrice. Despentes a troqué ici les gadgets d’un filmage voulu « underground » contre une technique plus « polie » (dans tous les sens du terme), est passée d’une équipe de tournage faite de noms marginaux à l’association de « pointures » techniques (Hélène Louvart à l’image, Martine Giordano au montage) et d’un casting de copains stars (Béart, Dalle et même Gilles « Stomy Bugsy » Duarte qui vient faire coucou dans le rôle d’un chauffeur). Ce faisant, elle finit par remettre à une plus juste place ses velléités d’anticonformisme : du poil à gratter consciencieusement fabriqué dans son salon, qui démange certes la peau pourvu qu’on force la dose, mais qui part à l’eau.