Il est des documentaires qui enfoncent des portes ouvertes, traitent de sujets rebattus, en essayant de trouver un angle original sans toujours y parvenir. Et puis il y en a d’autres qui défrichent un territoire vierge. Capitaine Thomas Sankara est de ceux-là. Qui connaît en France à part quelques initiés ce dirigeant anti-impérialiste africain ? La bibliographie le concernant compte dans les 25 ouvrages, dont une biographie de Bruno Jaffré, mais en termes de cinéma seul un court-métrage de 26 minutes lui avait jusqu’alors été consacré. Le documentariste Christophe Cupelin comble le vide et fait comme ressusciter celui qui dirigea le Burkina Faso pendant quatre années de 1983 à 1987.
Au service de la révolution
« J’ai fait un séjour au Burkina Faso en 1985 », nous explique le réalisateur. « Étudiant, j’y menais une mission d’aide au développement, nos professeurs voulaient nous confronter aux réalités du Sud. Je ne savais même pas en partant qu’il y avait une révolution en cours dans le pays. J’avais emporté avec moi une caméra Super 8, empruntée à un ami de mon père, et sur place j’ai voulu filmer la construction d’un barrage, entièrement à la main, sans l’aide de grosses machines pour extraire la roche. Un chef de chantier est venu me trouver, il m’a dit que je devais faire un film sur ce qui se passait dans le pays, puis le montrer en Europe, pour témoigner qu’au Burkina Faso les gens travaillaient, et que si de l’argent leur était donné il ne passerait pas dans la corruption mais dans la construction du pays. C’est ce qui m’a donné envie de faire du cinéma, je suis rentré étudier en Suisse à l’École des Beaux Arts, dans le but de faire ce film, au service de cette révolution. Mais Thomas Sankara a été assassiné pendant mon cursus. »
Le gros point fort de son documentaire est justement qu’il fait ressentir une grande empathie pour le personnage filmé, un lien quasi affectif entre le cinéaste et l’homme d’État décédé. Les différents points de la politique progressiste mise en place par Thomas Sankara sont évoqués : l’alphabétisation, l’autosuffisance alimentaire, le droit des femmes, la suppression de la dette… À chaque fois, les thématiques sont illustrées par des images d’archives ou des interviews données à l’époque par le leader burkinabé – l’occasion de revoir Noël Mamère en journaliste de télévision ! Dans plusieurs d’entre elles, François Mitterrand est confronté à son homologue président, et se trouve visiblement à la fois fasciné et agacé par une figure hors cadre. Amateur de football, passionné de guitares électriques, chambreur et charmant, Thomas Sankara dégage quelque chose d’éminemment sympathique, et développe surtout une politique incroyablement visionnaire sur des questions sociétales comme géopolitiques. On est très loin de ce supposé « homme africain qui n’est pas assez rentré dans l’histoire », comme le déclarait un autre président, Nicolas Sarkozy, en juillet 2007, dans son discours de Dakar.
Les enfants de Thomas Sankara
« Jusqu’à très récemment, il n’y avait quasiment pas d’images disponibles sur Thomas Sankara. Et puis, en 2007, pour le vingtième anniversaire de sa mort, des vidéos ont commencé à apparaître sur Internet », raconte Christophe Cupelin. « C’est par exemple le cas du discours d’Addis-Abeba sur la dette des pays africains et la demande de Thomas Sankara de la supprimer pour permettre le développement du continent. Jusqu’alors nous en avions qu’une retranscription écrite. La résurgence de ces images m’a donné de faire ce long-métrage sur Thomas Sankara. On voit d’ailleurs qu’il a une place non négligeable dans les événements qui viennent de secouer le Burkina Faso. Quand en octobre 2014 des milliers de manifestants protestent contre la volonté de Blaise Compaoré – le successeur de Thomas Sankara et sans doute le commanditaire de son assassinat – de modifier la constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat présidentiel, et le conduise à sa chute, la foule criait être “les enfants de Thomas Sankara“. »
Cinématographiquement parlant, Capitaine Thomas Sankara a des défauts. Il s’agit surtout d’un montage d’images d’archives, avec une vraie cohérence, mais il manque les témoignages d’acteurs de l’époque pour donner plus de chair au projet. On ne fait en outre qu’entrevoir les failles de ce président aux faux airs de Che Guevara, arrivant au pouvoir par un putsch militaire et mourant suite à un putsch militaire, alors qu’on aimerait en savoir davantage. Il y a une part évidente d’autoritarisme derrière sa verve. On sent un goût modéré pour la démocratie dans sa diatribe contre le vote à bulletin secret. On perçoit trop l’homme de guerre – devant sa renommée à ses exploits sur le champ de bataille dans un conflit armé contre le Mali – dans sa façon d’expliquer l’exécution de sept opposants politiques. Sa relation ambiguë à Blaise Compaoré, meilleur ami et faux frère, n’est par ailleurs qu’effleurée, alors qu’elle est d’un tragique fascinant, comme si Shakespeare avait inspiré le réel.
Cependant, malgré ces petites réticences sur le fond comme sur la forme, Christophe Cupelin opère déjà un beau travail de défrichage des angles morts de l’histoire contemporaine qui mériterait d’être appliqué à d’autres leaders africains méconnus : Amilcar Cabral pour la Guinée et le Cap Vert, Ruben Um Nyobé pour le Cameroun… L’Afrique comme les anciens pays colonisateurs en connaîtraient mieux leur histoire commune.