Scénariste et acteur, Jérôme Soubeyrand reprend pour Ceci est mon corps ses habituelles casquettes mais ajoute aussi pour la première fois celle de réalisateur. Pour son premier film donc, une fiction mêlée à des interventions de philosophes (Michel Serres et Michel Onfray), il interroge la notion du désir charnel et de son assouvissement à travers un personnage de prêtre. En optant pour un traitement drôle voire caustique, le metteur en scène s’affranchit des sempiternels clichés autour des hommes de foi et propose une réflexion à la fois hilarante, iconoclaste et émouvante sur un sujet éminemment tabou.
Philosophie dans le boudoir
Gabin (Jérôme Soubeyrand) « hug » lors d’un stage de thérapie Marlène (Marina Tomé), une excentrique délurée. Se produit alors l’impensable : Gabin tombe amoureux. N’écoutant que son cœur, il quitte son Ardèche et ses paroissiens pour retrouver Marlène en région parisienne. Il découvre alors la bisexualité de la fantaisiste dame, actrice et professeur de théâtre, qui vit en colocation avec sa jeune amante Émilie (Laetitia Lopez) et un homosexuel travesti à ses heures perdues (Christophe Alévêque). Un drôle de ménage à quatre va progressivement s’imposer.
Quand le visage du philosophe Michel Serres apparaît sur l’écran, on craint durant quelques secondes de s’être trompé de salle. Que nenni ! Ceci est mon corps se veut avant tout une œuvre de compréhension des Épîtres de St Paul, en particulier son rapport à la chair et au désir. Canon absolu de la chasteté, les pensées de St Paul sont rapidement devenues des dogmes, aujourd’hui encore imposés aux hommes d’église. Les apparitions a priori inopinées de Michel Serres et Michel Onfray s’en trouvent ainsi pleinement justifiées. Mais l’intérêt de ce premier long métrage réside principalement dans la partie fictionnelle (bien qu’elle entretienne des liens étroits avec la doxa chrétienne et qu’elle prenne des accents autobiographiques à certains moments).
L’apprenti amoureux
Le parcours initiatique aux plaisirs de la chair qui attend Gabin a de quoi surprendre et fera sans doute tomber de leur bénitier bien des grenouilles croyantes. Car Ceci est mon corps n’a que faire des tabous. On assiste ainsi à des conversations entre curés où chacun avoue des relations passées voire des enfants illégitimes. Quant à l’auberge espagnole sexuelle dans laquelle le personnage s’installe, elle se présente comme un catalogue de pratiques mal vues ou interdites par l’Église. De Renato, l’homosexuel incarné par l’hilarant et convaincant Christophe Alévêque, banquier et travesti assumé qui s’amuse à imiter Michel Serrault dans La Cage aux folles à Émilie la lesbienne amoureuse qui va initier le prêtre à la « chose », les protagonistes déambulent avec légèreté dans le champ de mines moraliste qu’ils représentent. Mais Marlène, celle qui domine pleinement ce petit monde se révèle de loin le personnage le plus intéressant et le plus complexe. Bisexuelle, éprise d’un homme marié, elle endosse le rôle de coach pour le pauvre prêtre dont l’expérience charnelle se réduit à quelques embrassades adolescentes. Marina Tomé (déjà excellente dans le rôle d’une dominatrice sadique dans Sado et Maso vont en bateau, un segment du film à sketchs Parano) trouve ici une prestation à sa mesure. Femme meurtrie, désabusée et pourtant fantasque, Marlène crève l’écran comme lors de cette séquence où elle apprend à Gabin à dégrafer un soutien-gorge.
Sans abuser du folklore intrinsèque de ses héros, Soubeyrand se joue des attentes du public, malmenant son curé et le propulsant dans des situations drôlissimes (son improvisation théâtrale), absurdes (son besoin de prier au sein de cette étrange communauté) ou émouvantes (la conclusion du film) tout en imprimant un rythme soutenu à son récit, toujours en mouvement. Jamais donneur de leçon, pompeux ou gratuitement provocateur, il alterne efficacement les allers-retours entre fiction et entretiens philosophiques, les séquences se répondant l’une l’autre. Il est rare que le discours philosophique se plie aux contingences du divertissement cinématographique et la tentative du cinéaste est de ce fait une franche réussite. Si parfois l’omniprésence de Soubeyrand se fait trop sensible (acteur de la partie fictionnelle et intervieweur des penseurs), son implication dans ce projet, qu’on suppose immense, et son énergie incroyable (la scène du cimetière) ont tôt fait d’effacer les microscopiques réticences ressenties pour ne laisser qu’un immense plaisir de spectateur.