Les Chatouilles, autofiction d’Andréa Bescond initialement montée sur les planches, entreprend sa transposition sur grand écran par une fragmentation temporelle, en présentant Odette (Andréa Bescond), le personnage principal, à deux âges différents. La première séquence, où Odette danse sur un fond noir, se voit raccordée par le truchement d’un flashback au dessin qu’une petite fille, la même Odette (Cyrille Mariesse), cette fois-ci enfant, esquisse sur une ardoise. Dans les deux cas, les modalités plastiques sont les mêmes : une forme en mouvement sur un fond noir annonce le sujet du film. On comprend par la suite qu’Odette est violée dès son plus jeune âge par Gilbert (Pierre Deladonchamps), un ami de la famille. Si ces agressions conduisent Odette à refouler le traumatisme, ce raccord réconcilie les deux entités séparées : l’enfant dessine à la lettre l’adulte qu’elle deviendra.
Le passé douloureux du personnage transparaît grâce à une psychologue qui aide à dévoiler le traumatisme d’Odette à travers la résurgence des scènes de viols. Ces dernières adoptent, pour deux d’entre elles, le schéma suivant : la petite fille est isolée, Gilbert la rejoint et masque sa perversion par des atours ludiques, puis finit par la violer. Or, Odette adulte surgit dans le plan de son passé pour commenter la scène avec désinvolture – c’est là que se retrouve la théâtralité du dispositif antérieur. Ainsi, lorsqu’elle danse et s’envole jusqu’au plafond sous les yeux ébahis de sa mère et sa professeure, la scène est malicieusement commentée par son double âgé, qui justifie cet écart avec le réel par le trop plein d’émotion ressenti par la petite fille.
Programme figé
Cette superposition de souvenirs et d’écarts fantaisistes affirme la toute-puissance du personnage sur un récit soumis à la plasticité qu’implique le processus de réminiscence. Mais le film tombe rapidement dans les écueils du programme autofictionnel : chaque élément de la vie du personnage se voit, par la structure narrative, ressaisi dans un processus de signification figé, systématiquement relié au viol par un rapport de causalité. Son addiction à la drogue, la multiplication des expériences sexuelles, la relation dysfonctionnelle avec la mère ou encore l’impossibilité de la vie conjugale renvoient ainsi au traumatisme originel. La logique d’entrelacement des temporalités, jusqu’alors instigatrice de ruptures de ton (court-circuitant le malaise par l’espièglerie du personnage), est peu à peu abandonnée au profit de certaines facilités d’écritures. Contraint par sa dynamique narrative, le film empile progressivement les vignettes qui, plutôt que d’ouvrir de nouveaux horizons pour le personnage, réduisent ses perspectives d’avenir à un retour perpétuel à l’enfance traumatique. Les scènes de danse n’échappent pas à ce processus et expriment de manière très appuyée la colère, la peine ou la douleur, suivant la scène qui les précède.
Du côté familial, la caractérisation de la mère d’Odette (Karin Viard) en fait l’exacte opposée du père, aimant et compréhensif. Elle ne pardonnera pas à sa fille d’avoir délaissé sa famille pour la danse et surtout de leur avoir imposé les dommages collatéraux du procès. Malgré la nuance qui lui est apportée (elle cache manifestement un traumatisme), le personnage demeure enfermé dans la grossièreté de sa caractérisation, en témoigne l’une des dernières séquences, où mère et fille se retrouvent chez la psychologue, qui entérine l’impossibilité de la réconciliation : elle refuse de la voir comme une victime.
La fin du film renoue néanmoins avec la promesse du raccord initial : alors qu’Odette adulte quitte le cabinet de sa psy, elle tombe, dans la cour, nez à nez avec la porte de sa chambre d’enfant. Elle s’y engouffre et retrouve son jeune double, toujours dans l’interstice abstrait sur fond noir et entame une conversation réparatrice avec cette partie perdue d’elle-même. L’enfance douloureusement arrachée est alors symboliquement retrouvée.