Dans un Kaboul qui tente petit à petit de se reconstruire, Marziyeh Meshkini filme un frère et une sœur cherchant par tous les moyens à se faire envoyer en prison, pour y retrouver leur mère. Un film simple et beau, inspiré du néo-réalisme italien.
Pour raconter une histoire de l’Afghanistan post-taliban, Marziyeh Meshkini a bâti son film autour d’un couple d’enfants, un frère et une sœur, et d’un chien errant. Chien perdu, enfants égarés, ou l’inverse, l’analogie est vite faite. Mais ce n’est pas pour le symbole simpliste que la réalisatrice iranienne a choisi ces trois personnages ; son film, d’une tendresse infinie, parle avant tout d’êtres qui souffrent.
Zahed et sa petite sœur Gol-Ghotai errent dans Kaboul depuis que leurs deux parents ont été mis en prison : leur père, parce qu’il est un taliban, et leur mère parce qu’elle s’est remariée, croyant son premier mari mort après des années d’absence. La nuit venue, les deux petits sans-logis rejoignent la prison des femmes, avec la complicité d’un gardien, pour dormir auprès de leur mère. Le jour, les voilà redevenus errants, fouillant les décharges et pratiquant la débrouille au milieu de dizaines d’autres enfants pour gagner le peu d’argent nécessaire à leur survie.
Filmant Zahed et Gol-Ghotai au plus près, Marziyeh Meshkini nous propulse de plein fouet dans leur quotidien, sans artifice et avec la volonté délibérée de faire un film d’une situation qu’elle a elle-même découverte. En 2002, alors qu’elle assiste Samira Makhmalbaf sur le tournage d’À cinq heures de l’après-midi, Marziyeh Meshkini (la femme du réalisateur iranien Mohsen Makhmalbaf) est en repérage dans la prison de Kaboul. Elle y rencontre des enfants de détenues, qu’elle croit eux aussi condamnés. Elle comprend ensuite que c’est faute de logement qu’ils rejoignent la prison, la nuit, auprès de leurs mères. Cette découverte deviendra la source d’inspiration de Chiens égarés.
Inspiré par la réalité, filmé en extérieur, sans maquillage ni décors artificiels, dans un pays qui a connu des années de guerre d’où découle une situation sociale difficile, acteurs non professionnels, trame narrative peu spectaculaire, le deuxième long-métrage de la réalisatrice rappelle les principes du néo-réalisme italien. C’est d’ailleurs un film emblématique de ce mouvement, Le Voleur de bicyclette, de Vittorio De Sica (1948), qui apprendra aux enfants comment retrouver leur mère. Chassés par le gardien qui refuse d’être plus longtemps leur complice, Gol-Gothai et Zahed font la connaissance d’un jeune fugitif qui leur indique le chemin du cinéma d’art et essai de la ville : d’après lui, ils pourront apprendre à voler en regardant les films qui y sont programmés. À la sortie du cinéma, après avoir longuement hésité, Zahed s’empare d’une bicyclette tandis que sa petite sœur hurle « au voleur » et que les policiers fondent sur lui, l’emmenant dans une prison qui n’est pas celle où se trouve sa mère. Le plan a échoué, et le frère et la sœur sont séparés.
Profondément convaincue que faire des films « est un bon moyen pour alléger les souffrances de l’être humain », Marziyeh Meshkini semble tenir la misère volontairement à distance. Beauté des paysages dans les scènes de nuit, mise en scène précise et cadrages très réfléchis, ce qui transparaît dans ce film est avant tout l’affection non dissimulée que la réalisatrice porte à ses deux jeunes protagonistes. Là encore, Meshkini rejoint le néo-réalisme italien en refusant de voisiner davantage avec la forme documentaire qu’aurait pu engendrer un tel sujet. Cet aspect de Chiens égarés peut parfaitement coller à cette tentative de définition du néo-réalisme donnée par Patrice G. Hovald : « Le néo-réalisme n’est pas une interprétation servile de la réalité, une expression esthétique de cette réalité, mais une vision humaine, intérieure, de la réalité et dont les racines sont un désir de communication, de dialogue entre des artistes d’une époque donnée et un public sensibilisé, par les événements historiques, à recevoir cette communication, à engager ce dialogue. »
Avec deux jeunes acteurs magnifiques, le dialogue ne peut qu’être engagé. À sept ans, Gol-Ghoti s’est vue gratifiée du prix d’interprétation féminine au dernier festival de Paris Ile-de-France. Chez les Makhmalbaf, on a fait sien ce principe de « la valeur [qui] n’attend pas le nombre des années » : à 18 ans, Samira fut la plus jeune réalisatrice sélectionnée en compétition officielle au festival de Cannes, à 17 ans, Hana est déjà passée deux fois derrière la caméra, et à 24 ans, Maysam est producteur de Chiens égarés. Cette citation quelque peu galvaudée retrouve toute sa justesse après avoir passé une heure et demie en compagnie de ces enfants.