« C’était les années 1980 », comme on dit. Mais contrairement à trop de films français récents, le premier long métrage de Brahim Fritah, d’inspiration autobiographique, n’en fait pas trop dans la reconstitution de ces années dont la nostalgie est tant ciblée par la publicité : à peine un peu de grain dans la photo, quelques carrosseries antiques clairsemées, et la bande-son évite même de se faire juke-box de « ces années-là », préférant se mettre au diapason de l’univers mental de son héros. En 1980 donc, à Pierrefitte-sur-Seine, le petit Brahim passe le plus clair de son temps à faire les quatre cents coups avec sa fratrie et ses copains, et parfois tout seul dans sa tête, nourrissant son imaginaire de toutes les images et les sons qui l’inspirent, tandis qu’autour de lui tout n’est pas aussi amusant (l’usine où son père travaille comme ouvrier va être délocalisée). Le réalisateur consacre son film à orchestrer la partie de ping-pong entre les diverses influences auxquelles s’ouvre le garçon. Le son se fait facétieux, avec bruitages et musiques over ; l’image aussi, qui peut passer au noir et blanc quand la télé couleur est remplacée par une en noir et blanc, ou se ralentir pour figer dans un grandiose de pacotille un affrontement physique entre ouvriers et patronat. Le réel s’en mêle en y ajoutant ses sèches perturbations, et la nuit, les rêves se chargent de mélanger tout cela (dans des scènes oniriques plutôt réussies, en équilibre entre enchantement et inquiétude).
Osmose
Cela n’a l’air de rien, mais par le truchement de ces petits effets, le match organisé ici entre imaginaire et réalité a quelque chose de rafraîchissant au regard des lieux communs en vigueur. La plupart des films se penchant sur une telle opposition (on pense notamment à des films de Terry Gilliam, ou encore à Créatures célestes de Peter Jackson) la jouent comme un conflit entre deux parties inconciliables, où seule l’une d’elles pourrait l’emporter, en excluant l’autre (de façon plus ou moins dramatique). Fritah, lui, joue une partition plus conciliante et moins discriminatoire. L’osmose entre les deux « univers » est permanente, et le garçon restant observateur du réel tandis qu’il l’assimile dans son imaginaire, chaque personnage, même le plus adulte et le moins enclin à la rêverie, acquiert un droit de cité d’un côté comme de l’autre de la frontière sans jamais y perdre. Les jeux d’enfants, concrets ou mentaux, ne se présentent jamais comme un refuge contre l’amertume des affaires d’adultes, mais comme un moyen de mieux le vivre sans en truquer la perception (on n’est pas chez Jean-Pierre Jeunet). La dernière partie, derrière une façade rassurante sur la fraternité, ne fait qu’accréditer cette acceptation mutuelle, plus secrète mais touchant au moins aussi juste : dans une ambiance mêlée d’échec annoncé et de volonté de s’accrocher au positif, les deux parties se rassemblent et communient, les affaires des uns et les jeux des autres se faisant dès lors complices.