Ce film de potache prend la suite, dix ans après, d’un joyau de comédie bon marché remarquée pour son ton acerbe et (sexuellement) explicite portée par une mise en scène décalée et magistralement tributaire de la gestion de la raréfaction des lieux de tournage. L’amitié, la provocation et l’humour sont toujours là mais les seuls plans travaillés sont des copies conformes du premier, clin d’œil malhabile à une mise en scène antérieure beaucoup plus riche (prix de la Semaine de la critique à Cannes, 1994).
Contre toute attente, en dix ans, rien n’a changé. Dante et Randal, amis pour la vie, anciens camarades de classe, employés quelque part dans l’État du New Jersey dans des magasins mitoyens et partageant leur temps libre ensemble dans Clerks, continuent, dix ans après, de servir sans passion les clients et de rire, plutôt que de pleurer, d’une situation de « survie » économique qu’ils jugent en balance avec leur amitié intacte. Si, dans la fiction, le décor principal a changé, d’une supérette à un fast-food, c’est le fruit d’un contre-temps hasardeux : la destruction accidentelle par les flammes, de leur port d’attache professionnel original. Supérette qu’ils retrouveront pourtant à la fin de la fiction. Le scénario est clair : nos deux héros se laissent à nouveau porter par les flammes et les hasards de la vie. Ce changement de décors, c’est la possibilité pour notre réalisateur, de confronter nos deux héros aux autres.
Justifiant plus qu’un autre la comparaison avec le film-matrice précédent, Clerks 2 fonctionne comme une machine de recyclage des idées de mise en scène. D’ailleurs, l’entrée dans la fiction du film, l’ouverture de la supérette, et le travelling arrière final découvrant une cliente comparant les bouteilles de lait (dans Clerks un client mesurait le calibre des œufs), enferment cet opus dans la comparaison du premier. Nul besoin de préciser que les rares originalités, comme la parodie de confrontation amicale tournée en version Matrix, ne sont que des moments incongrus dans un film filmé chichement. A contrario, la saveur des dialogues prolonge le savoir faire du premier film autour d’une androgynie visionnaire des caractères des personnages, d’une célébration de la culture populaire, symptomatiquement transférée du cinéma (La Guerre des étoiles contre Le Seigneur des anneaux) aux super-héros de télévision (Les Robots Transformers) et d’un goût incroyable pour la provocation salvatrice, capable de ruiner les préjugés sexuels (la « poésie » de l’amour entre les espèces animales, l’énigmatique personnage de Jay), religieux (les contes sexuels des intégristes catholiques américains) et racistes (l’évolutionnisme des injures raciales) contemporains. Ainsi rien n’a changé puisque le prétendu mauvais goût, hier, comme aujourd’hui, réussit toujours à viser juste.
Le déséquilibre du film, incarné dans l’histoire par l’opposition entre l’adulescent Randal (toujours aussi bon et drôle, nostalgique avéré de leur jeunesse volage et indolente) et l’espoir de son ami (dans un sens hétérosexuel !), Dante, de changer de trajectoire de vie en acceptant le mariage et la paternité, c’est ce souci invraisemblable de Kevin Smith de forcer la résolution morale de sa fiction. Mais qu’importe l’histoire amoureuse ridicule, quand la nostalgie du film continue de célébrer l’amitié indéfectible et la boulimie langagière humoristique du personnage de Randal qui continue de refuser de grandir et de préférer l’humour potache à toute horizon d’instauration sociale. Adolescents et adultes peu obséquieux courrez rire à une forme de résistance toujours inédite au cinéma : le pied de nez (en humour) à toute ambition et jalousie sociale !