Producteur de Bellflower d’Evan Glodell, Vincent Grashaw décide à son tour de passer derrière la caméra pour déconstruire le rêve américain au travers du prisme de la jeunesse. Gérant tant bien que mal l’héritage laissé par Larry Clark et sa vision mal-aimable des adolescents dans Kids et Bully, le jeune réalisateur s’intéresse de son côté aux camps de redressements pour mineurs. S’accommodant bien facilement d’un vide juridique concernant l’encadrement de ces centres (« aucune loi n’existe » assène même le carton final), le scénario renvoie très rapidement les pouvoirs publics à leur impuissance et inaction tandis que les familles des délinquants trouvent étrangement refuge derrière un « nous ne savions pas ». Toutes les considérations politiques et affectives étant évacuées, le film peut donc dérouler son programme en vase-clos, misant exclusivement sur l’opposition explosive d’une poignée d’adolescents rebelles à leurs surveillants totalement sadiques au sein du centre Coldwater. Le jeune et charismatique Brad Lunners est celui par qui le désordre arrive progressivement : incarcéré depuis qu’il a été indirectement mis en cause dans le meurtre de sa petite amie (ce qui nous vaudra une succession de flashbacks mal foutus pour illustrer sa « vie d’avant »), l’adolescent va devoir composer entre résignation, colère et assimilation des codes hiérarchiques pour mieux venir à bout de ses ennemis.
Courte focale
Ce qui frappe d’emblée dans le parti-pris de Vincent Grashaw, c’est d’avoir uniquement circonscrit l’enjeu du film à ce qui se passe entre les quatre murs du centre décrié sans pour autant exploiter le sentiment de claustrophobie qui peut émaner d’un huis clos. Les personnages – même les militaires encadrants – semblent totalement déconnectés d’un extérieur pourtant censé les singulariser. Ici, chacun est caractérisé par une somme d’actes attendus et prévisibles, permettant au spectateur d’identifier grossièrement la place qu’occupera chaque protagoniste dans le récit : le colonel pervers et autoritaire, le délinquant arriviste prêt à tous les compromis, la tête brûlée qui refuse de se soumettre au péril de sa vie, le jeune Black qui va subir les pires atrocités, etc. Parmi eux, Brad Lunders est supposé incarner une certaine forme d’ambiguïté dans la mesure où il est le seul à afficher des changements de comportements au gré des rebondissements : mais sa complexité se limite malheureusement ici à dompter son insolence pour mieux piéger les militaires. Même cette pesante culpabilité qui l’enchaîne au meurtre de sa petite amie n’est qu’effleurée, ne devenant qu’un vague prétexte d’opposition à Gabriel, son petit protégé.
Antiseptique et scepticisme
Pourtant, la mise en scène ne lésine pas sur les moyens pour nous convaincre de l’authenticité des faits relatés. Pour preuve, la torture et les sévices infligés aux prisonniers sont filmés frontalement, mais sans autre but que d’indisposer ou de faire frémir le spectateur en évacuant tout questionnement sur le point de vue. Par ailleurs, le film ne s’encombre aucunement d’approximations ou invraisemblances (suivi médical, délivrance des autorisations, tentatives d’évasion, etc.) pour atteindre l’objectif sensationnaliste qu’il s’est fixé dès le départ. S’il y avait en parallèle une once de réflexion sur les enjeux politiques que posent l’existence et le fonctionnement de tels centres (conséquence d’une société qui, au lieu de croire qu’elle se donne les moyens de canaliser sa violence, ne fait qu’en reproduire les pires schémas), on ne serait pas tenté de comparer la démarche de Vincent Grashaw au pires travers esthétisants d’American History X. Mais le plus étrange reste que, sous couvert de réalisme brut, Coldwater trahit pourtant une tendance hygiéniste qui ne colle pas vraiment au propos : en confrontant les corps des jeunes prisonniers, imberbes et musclés, aux militaires caricaturaux jusque dans l’hyper-virilité, on se demande si le réalisateur n’aurait pas mieux fait de tourner un porno gay. Le résultat aurait probablement été nettement plus convaincant.