Pendant deux ans, la réalisatrice Françoise Davisse a filmé les ouvriers grévistes de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois dans leur combat contre la fermeture du site et le plan social prévoyant la mise à pied de 6000 employés. Le film documente dans le détail ce long et dramatique affrontement dont les protagonistes se repartissent en quatre camps : les cadres de PSA, les salariés, l’État et les médias. Il rend ainsi compte de quatre organisations aux intérêts divergents, et, bien plus, de quatre régimes de parole de nature et d’intensité différentes.
« L’usine est à nous »
Le rapport de force, immédiatement tendu par l’entreprise lorsqu’elle annonce son intention de licencier massivement, oblige les salariés à s’organiser. Attachée à son lieu de travail, à qui elle a souvent consacré de nombreuses années, la population ouvrière n’est pas pour autant unie dans ses intérêts et sa vision de la sortie du conflit. Le film décrit abondamment le long processus social, fait de dialogues, de débats et de votes, qui cherche à répondre à deux questions : comment faire corps pour se défendre ? Et surtout quel intérêt commun défendre ? Le constitution d’un « nous », et l’organisation d’un processus de décision démocratique sont les principales problématiques que met à jour le film.
La mobilisation de cette force démocratique est mise au service d’un combat contre le plan social de PSA dont on voit, de biais, les manœuvres contre les grévistes : position radicale en début de cycle ; décrédibilisation des grévistes (par l’envoi à tous les salariés non grévistes de courriers dénonçant la violence de l’occupation de l’usine) ; déstabilisation morale de tous (par la dégradation sourde des conditions de travail) ; lenteur du processus de négociation, retrait et renégociation permanente, poussant à l’exaspération (et donc à la faute) les grévistes. En bref, diviser et ralentir la manifestation pour mieux l’affaiblir. En face, les manifestants résistent en défendant une grève digne, c’est-à-dire construite sur des positions argumentées, fermes et non violentes.
Lutter, c’est communiquer
Le film souligne aussi à quel point la négociation est affaire de communication. Le rapport de force requiert un travail sur la langue — dans les débats internes, dans la contestation elle-même, dans l’expression devant les médias, face aux hommes politiques, ou dans les négociations. Côté PSA, la parole est savamment encadrée : on entend son dirigeant, Philippe Varin, des cadres de sécurité et peu d’autres interlocuteurs identifiés ; côté ouvrier, plusieurs représentants syndicaux, et un grand nombre d’employés, mobilisés ou non. Entre les deux, louvoyeuse, la classe politique locale (le maire) et nationale (les candidats en campagne, puis le président Hollande et ses ministres, en particulier Arnaud Montebourg) peine à nommer des médiateurs et à proposer autre chose qu’un discours flou. Enfin, le portrait fait des médias est peu flatteur : bien qu’indignés par les licenciements, ils semblent peu intéressés par le mouvement de grève, déconnectés du monde ouvrier et jouent le jeu de l’entreprise en relayant les messages qu’elle a savamment préparés.
Par l’approche détaillée que permet sa longueur (près de deux heures) et son regard centré sur une population ouvrière désormais minoritaire en France et peu écoutée, le film de Françoise Davisse rend à la grève la dignité qu’elle cherchait et joue un rôle politique de premier plan. Il faut saluer ce regard cinématographique patient, rare et passionnant.