Premier long métrage du Roumain Catalin Mitulescu, Comment j’ai fêté la fin du monde est entré cette année dans la compétition cannoise, dans la section « Un certain regard ». Au générique, parmi une série de noms roumains qui ne nous disent rien, on peut repérer Martin Scorsese et Wim Wenders (rien que ça !), producteurs associés de cette tragi-comédie pleine de poésie qui raconte la vie d’une famille roumaine sous la dictature de Ceausescu. Entre la farce et le rêve, derrière la peinture d’un pays en profonde mutation, cavalent les élans et les espoirs des jeunes générations.
Il a fallu un coup de pied et une tête fracassée. Le pied, c’est celui d’Alex, jeune Roumain de dix-sept ans dont le père est un « flic », c’est-à-dire un officier du Parti. La tête, ou ce qu’il en reste appartient à Nicolae Ceausescu, ancien cordonnier, « conducator » de la République socialiste de Roumanie, surnommé le « génie des Carpates », fusillé le 25 décembre 1989. Soudainement, le pied a frappé et le marbre du buste a volé en éclats. Un coup de pied vaut-il un coup d’éclat ou un coup d’État ? Alex et sa complice Eva passent en conseil de discipline. Le premier est repêché in extremis par son père. Eva est exclue du lycée. Mais Eva a l’âme rebelle et le regard ailleurs. Quand elle ne s’occupe pas de son jeune frère Lalalilu, sept ans, elle s’amourache du jeune Andreï, de la singularité de ce fils de dissident avec lequel elle veut concrétiser ses rêves d’exil : quitter la Roumanie et traverser le Danube à la nage.
Qu’est-ce que la fin du monde ? Pour le Roumain Catalin Mitulescu, c’est celle d’un gouvernement, la fin du régime autocratique du dictateur Ceausescu qui se couronna en décembre 1989 par un bain de sang, un procès suivi d’une exécution. Le cinéaste retrace les derniers mois du régime, mais ne s’attache pas à donner une vision historiquement vraie. La réussite de ce premier long métrage tient avant tout à un principe de décalage : si l’époque représentée est bien celle d’une période révolue, les points de vue adoptés sont ceux d’une adolescente et d’un enfant. Le film entrecroise une atmosphère de décadence et la sensation d’une imminence, de quelque chose en train d’éclore comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte, l’éveil du sentiment amoureux mêlé à l’élan révolutionnaire. Naissance contre dégénérescence. Dorotheea Petre (Eva), l’actrice principale, a reçu à juste titre un prix d’interprétation (à Cannes, dans la section « Un certain regard ») pour sa prestation. Mais le personnage du film qui retient l’attention n’est autre que le petit frère, Lalalilu. Car l’espièglerie de ce jeune garçon à la santé fragile incarne le crépuscule d’un monde en train de naître. Frêle et haut comme trois pommes, il met au point un plan pour tuer Ceausescu et délivre une grenouille des coups acharnés et des pierres lancées, de la cruauté de ses petits camarades. On exécute même dans les jeux d’enfants.
Par instants, le film surprend. Dans certaines scènes, une facture classique et trop convenue est délaissée, la narration est laissée à l’abandon au profit d’échappées burlesques ou rêvées. Lalalilu fait une bulle de chewing-gum. La bulle géante que les gamins tenaient quelques instants plus tôt s’échappe de leurs mains. La caméra suit l’envol de ce ballon devenu une sorte de globe terrestre. La volonté de réalisme du cinéaste (dans le choix du décor et des costumes qui font référence à une époque précise et particulière) est désamorcée par la portée onirique et absurde de certaines séquences. Et le burlesque point. Comme dans une scène farcesque où le père déguisé en Ceausescu mime le dictateur. Mais Catalin Mitulescu ne tourne pas en dérision gratuitement une page sanglante de l’histoire. L’absurde se mêle au burlesque, l’euphorie à la nostalgie. L’univers mis en scène, jamais fade, est tout en demi-teinte. Le cinéaste a réussi le pari de faire vivre et évoluer ses personnages dans ces instants hors du temps, comme s’ils cherchaient à se délivrer de la grande Histoire pour inscrire leurs histoires dans un avenir naissant.