Si Alvaro Brechner se défend d’avoir réalisé un film « de prison », le plan séquence d’ouverture augure pourtant un programme axé sur les thèmes propres au genre carcéral. La caméra effectue plusieurs rotations à 360°, captant des bribes de péripéties en cours – des prisonniers provoquant une émeute, avant d’être ramenés en cellule. La circularité prolonge le dispositif dans lequel les personnages principaux sont déjà enfermés et devront survivre. Compañeros raconte les douze années d’incarcération, dans les années 1970, de José « Pepe » Mujica, figure de l’opposition uruguayenne (par son affiliation au groupe politique des Tupamaros) et futur président du pays entre 2010 et 2015, ainsi que de ses compagnons Mauricio Rosencof et Eleuterio « Nato » Fernández Huidobro, deux membres à venir de son gouvernement.
Se reconnecter au monde
Le récit se limite tout d’abord à l’intimité du cachot plongé dans l’obscurité, avant d’élargir son horizon. Le retour progressif de la lumière apparaît comme le premier signe d’une réinsertion vers la sphère publique. Réduits au silence pour leur popularité et pour leur force politique, les protagonistes vont devoir user de leurs différentes compétences pour renouer le contact entre eux et communiquer avec le monde extérieur. Cette stratégie de survie trouve son aboutissement dans une belle séquence où Nato, se promenant dans la cour, est immédiatement reconnu par les autres détenus : redevenu une figure publique, il aura ainsi déjoué la tentative de mise à l’écart dont ses camarades et lui-même ont fait l’objet.
Recourant d’abord à une sorte de code tapé contre les parois, Mujica et ses deux acolytes vont concevoir un moyen de communication qui leur permettra d’asseoir, petit à petit, leur domination sur les lieux, dans un renversement amusant du principe panoptique (selon le ressort narratif du surveillant-surveillé, ici prétexte à quelques scènes humoristiques). On regrettera que le film soit parfois gâché par des flashbacks assez convenus retraçant la capture des opposants politiques, notamment celle de Nato, maladroitement introduite au détour d’une conversation avec son geôlier, qui fut le responsable de son arrestation. Si Compañeros n’évite pas les travers de la fable patriotique dénonçant l’injustice dont furent victimes les trois hommes, le cinéaste a toutefois la justesse de s’en tenir le plus souvent à la dimension intime et sensible de ce chemin de croix politique.